La saisine de la Cour constitutionnelle au regard de l’article 104 nouveau de la Constitution togolaise
La
Cour constitutionnelle est la juridiction chargée de veiller au respect des
dispositions de la Constitution. Pourtant, sa saisine n’est pas assez ouverte au
Togo. Ainsi, l’article 104 de la réforme constitutionnelle du 08 mai 2019 semble
.apporter quelques nouveautés sur la question de saisine du juge constitutionnel
aussi bien en matière du contrôle de constitutionnalité qu’en matière de
protection des droits fondamentaux.
La
saisine d’une juridiction consiste à porter une demande en justice devant
celle-ci, en accomplissant auprès d’elle la formalité requise[1].
La Cour constitutionnelle elle-même est une «juridiction créée pour connaître spécialement
et exclusivement du
contentieux constitutionnel, situées hors de l’appareil juridictionnel
ordinaire et indépendante de celui-ci comme des pouvoirs publics »[2]
. Cependant, elle ne s’autosaisit pas ; il faut donc la saisir. Or, au
Togo, l’accès direct à la Cour constitutionnelle n’est ouvert qu’à une
catégorie d’individus. Le constituant, lors de la réforme constitutionnelle de
2019 n’a pas occulté cette question et l’a prise en compte, même si c’est à sa
façon.
La
Constitution étant la loi fondamentale dans un Etat, certaines de ses
dispositions doivent être de temps en temps modifiées pour répondre à la mode.
C’est cette modification qu’on appelle la révision constitutionnelle ou la
réforme constitutionnelle. C’est exactement ce qu’ont fait les députés de
la sixième législature le 08 mai 2019. Cette révision a porté sur plusieurs
aspects, notamment le mandat du chef de l’Etat, le mode de scrutin, la
responsabilité du chef de l’Etat, le statut des anciens présidents….Tous ces
aspects ne nous intéresseront pas dans le cadre de notre réflexion. Nous nous
intéresseront cependant essentiellement à la saisine de la Cour constitutionnelle
consacrée par l’article104 nouveau de la Constitution togolaise[3]
.
Quelle
est alors l’étendue de la saisine de la Cour Constitutionnelle togolais au
regard de la réforme constitutionnelle du 08 mai 2019 ?
La
nouvelle réforme constitutionnelle a apporté des nouveautés en matière de contrôle
de constitutionnalité des lois. Concernant la saisine de la Cour en matière des
droits fondamentaux, les attentes n’ont pas pour autant été comblées.
Cette
réflexion a le mérite d’amener le constituant dérivé à consacrer une place
primordiale à la protection des droits fondamentaux devant la Cour
constitutionnelle.
S’il
est avéré que la réforme constitutionnelle du 08 mai 2019 était attendue(I), il n’en demeure pas moins vrai qu’en
matière de protection des droits de l’homme, elle reste perfectible (II).
I. Une réforme attendue
L’élargissement
de la saisine de la Cour constitutionnelle était attendu en matière de contrôle
de constitutionnalité des lois (B), puisqu’avant la nouvelle réforme, seuls
quelques individus pouvaient la saisir en la matière (A).
A.
La
saisine de la Cour constitutionnelle autrefois restreinte en matière de
contrôle de constitutionnalité
La
saisine de la Cour constitutionnelle togolaise en matière de contrôle de
constitutionnalité par voie d’action[4]
n’était ouverte qu’aux Présidents de certaines institutions et à un groupe de
députés. Il s’agit du Président de la République, du premier Ministre, du
Président de l’Assemblée Nationale ou d’un cinquième (1/5) des membres de
l’Assemblée nationale[5].
Il appartenait uniquement à ces autorités d’envoyer une loi déjà promulguée ou
non devant la Cour constitutionnelle afin que celle-ci la juge conforme ou non
à la Constitution. Malheureusement, cette saisine très restreinte ne pouvait
pas garantir un contrôle efficace de constitutionnalité devant la Cour
constitutionnelle. Certaines lois inconstitutionnelles pourraient en effet
échapper à ces institutions. Il apparaissait donc nécessaire d’étendre cette
saisine aux autres institutions.
B.
La
saisine aujourd’hui ouverte en matière du contrôle de constitutionnalité des
lois
La
nouvelle réforme n’a pas occulté la question de saisine du juge constitutionnel
en matière du contrôle de constitutionnalité des lois. Ainsi, conscient que la
possibilité de saisine de la Cour constitutionnelle par plusieurs institutions
peut rendre mieux service à la Constitution, le constituant dérivé[6]
a jugé bon d’étendre la saisine de la Cour constitutionnelle aux Présidents
d’autres institutions, notamment au Président de la Haute Autorité de
l’Audiovisuel et de la communication, au Président du Conseil Economique et
Social, au Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme, au
Médiateur de la République et au Président du Conseil Supérieur de la
Magistrature[7].
Désormais,
ces autorités peuvent, à côté du Président de la République, du Premier
Ministre, du Président de l’Assemblée Nationale et d’un cinquième (1/5) des membres
de l’Assemblée nationale saisir la Cour constitutionnelle, lorsqu’elles
estiment qu’une loi n’est pas conforme à la constitution. Toutes ces
institutions constituent donc les chiens de garde de la Constitution contre
toute loi inconstitutionnelle. En conséquence, cette réforme vient accroître
les compétences de la Cour constitutionnelle qui en matière de contrôle de
constitutionnalité aura plus de dossiers qu’auparavant.
Toutefois,
il faut noter que cette réforme, quoi que bienvenue, ne peut pas combler les
attentes des acteurs de la protection des droits de l’homme.
II.
Une
réforme perfectible
L’article
104 nouveau de la Constitution togolaise est perfectible à double titre. D’une
part, il ne détermine pas les personne qui ont qualité pour saisir la Cour
constitutionnelle en matière de protection des droits fondamentaux (A), puis
d’autre part, il ne prend toujours pas en compte la question de l’accès direct
des citoyens devant la Cour constitutionnelle (B).
A.
La
nécessité de constitutionnaliser les personnes ayant qualité pour saisir la
Cour constitutionnelle en matière des droits fondamentaux
En
matière de protection des droits fondamentaux, nul ne connait, du moins pour le moment les personnes qui ont qualité
pour saisir la Cour constitutionnelle togolaise. Aux termes de l’alinéa 7 de
l’article 104 nouveau de la constitution togolaise, « Une loi organique détermine les autres
autorités et les personnes morales qui peuvent saisir la Cour constitutionnelle
en matière de protection des droits fondamentaux ». Ainsi, la
Constitution n’a pas précisé les autorités ou personnes morales qui peuvent
saisir la Cour constitutionnelle, lorsqu’un droit fondamental est violé.
Malheureusement, ces personnes morales ou ces autorités seront déterminées par
une loi organique[8].
Il faudrait donc attendre pour les connaitre.
Il
est alors nécessaire, pour une meilleure protection des droits fondamentaux,
que la Constitution détermine directement les personnes morales ou les
autorités ayant qualité pour saisir la Cour constitutionnelle en matière de
protection des droits fondamentaux. Cette nécessité peut se justifier dans la
mesure où la Constitution est plus rigide qu’une loi organique et, il
sera plus facile pour les députés de modifier cette loi organique que de
modifier une disposition constitutionnelle. En conséquence, si la détermination
de ces personnes morales ou autorités est faite par une disposition constitutionnelle,
l’on peut être rassuré qu’elle ne pourra pas être facilement modifiée par un
groupe de députés et que sa révision obéira obligatoirement aux conditions
fixées par l’article 144 de la constitution.
B.
La
nécessité d’ouvrir le prétoire de la Cour constitutionnelle aux citoyens
Le
titre II de la Constitution togolaise de 1992 consacre les différents droits
fondamentaux des citoyens et l’article 104 alinéa 1 de la même Constitution dispose
que, « La Cour constitutionnelle est
la juridiction chargée de veiller au respect des dispositions de la
Constitution ». Ainsi, lorsque les droits constitutionnels d’un
citoyen sont violés, celui-ci doit normalement pouvoir saisir la Cour
constitutionnelle afin que sa cause soit entendue. Pourtant, le constituant togolais
n’a pas permis aux citoyens d’atteindre le prétoire de la Cour
constitutionnelle. Or, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples
de 1981 fait partie intégrante de la Constitution togolaise et dispose en son
article 7.1 que toute personne a « le
droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant
les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions,
les lois, règlement et coutumes en vigueur ». Ainsi, en vertu de cette
disposition, les citoyens doivent en principe pouvoir avoir accès au prétoire
du juge constitutionnel. Tristement, cette disposition de la charte africaine
des droits de l’homme n’est pas effective devant la Cour constitutionnelle du
Togo.
Rappelons
que les citoyens ayant eu à saisir la Cour constitutionnelle togolaise en
matière des droits fondamentaux ont vu leurs requêtes déclarées irrecevables.
C’est l’exemple en 2016 de l’affaire Adjevi-Zan LASSEY et Messanvi ETIM dans
laquelle les requérants demandent à la Cour constitutionnelle togolaise de déclarer l’article 539 de la loi
n° 2015-010 portant code pénal non conforme à la Constitution du 14 octobre
1992. Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle du Togo a déclaré leur
requête irrecevable au motif qu’ils ne peuvent voir leur
cause entendue devant la Cour que lorsqu’à l’occasion d’un procès devant les
Cours et tribunaux, cette disposition est appelée à leur être appliquée et
qu’ils soulèvent l’exception d’inconstitutionnalité de ladite disposition. La Cour a donc jugé que
les citoyens n’ont pas qualité pour la saisir directement[9].
A titre comparatif, les articles 120 et 122 de la Constitution béninoise du 31
décembre 1990 permettent à tout citoyen de saisir directement la Cour
constitutionnelle[10].
Il
est donc souhaitable que cette question de saisine de la Cour constitutionnelle
en matière des droits fondamentaux fasse l’objet de plusieurs réflexions et
interpelle le constituant qui doit, lors d’une prochaine réforme, repenser la
place des citoyens devant la Cour constitutionnelle.
Fataï OFFANLAKE, Auditeur en master justice et droit du procès à l’Université de Kara
Fataï OFFANLAKE, Auditeur en master justice et droit du procès à l’Université de Kara
[1]Cornu
(G.),Vocabulaire juridique, PUF,
12e éd, p.941.
[2]Favoreu (L.), « Cours constitutionnelles »,
in, Duhamel
(O.) et Meny(Y.), (Dir.), Dictionnaire constitutionnel,
Paris, PUF, 1992, p. 255.
[4] Procès
intenté directement à la loi
[5] Article
104 alinéa 5 ancien de la Constitution togolaise
[6] Le
pouvoir chargé de réviser la Constitution
[7] Article
104 alinéa 4 nouveau de la Constitution togolaise de 1992
[8] Loi qui
complète ou précise une disposition constitutionnelle
[9]Décision
n° C-002 /16 du 1er Juin 2016, journal officiel de la
république togolaise, 61e année, n°21 du 20 juin 2016, p.3.
[10] Article
120 de la Constitution béninoise de 1990 dispose que « La Cour constitutionnelle doit statuer dans un délai de quinze jours
après qu’elle a été saisie d’un texte de loi ou d’une plainte en violation des
droits de la personne humaine et des libertés publiques…» ; l’article
122 dispose que : « Tout
citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des
lois, soit directement, soit par procédure de l’exception
d’inconstitutionnalité … ».
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