Les génèse et applications de la théorie de la séparation des pouvoirs
Raymond Carré de
Malberg définit l’État comme une « communauté d’hommes groupés sur un territoire
propre, possédant une organisation, d’où
résulte pour le groupe envisagé, dans ses rapports avec ses
membres, d’une puissance supérieure
d’action, de commandement et de coercition.
» C’est dire donc que l’État est une
société au sein de laquelle s’exerce un pouvoir ; c’est une organisation de
pouvoir. Il importe alors de savoir
comment s’organise ce pouvoir.
Raymond
Ferretti distingue deux axes dans
l’organisation du pouvoir : le premier est celui de la répartition du pouvoir
entre l’exécutif, le
législatif et le
judiciaire. Cet axe dit horizontal, permet de distinguer les régimes
politiques. Le second axe permet de
repartir les compétences entre le centre et la périphérie. Il est dit vertical
et permet de déterminer les formes juridiques de l’État.
Le vent de notre
réflexion nous emportera uniquement vers l’axe horizontal, c’est-à-dire celui qui
permet de distinguer les régimes politiques.
On désigne par régimes
politiques l’ensemble des règles constitutionnelles régissant les modes de
désignation et d’organisation des institutions
politiques d’un État. Les régimes
politiques sont distingués selon un critère de classification : la théorie de
la séparation des pouvoirs.
Comment
cette théorie fondatrice des régimes politiques est-elle alors systématisée ?
L’étude
de ses origines, de sa formulation ainsi que de ses interprétations nous
permettra de schématiser une esquisse de
réponse.
I
– La genèse de la
théorie
La théorie telle que nous la connaissons aujourd’hui a
été formulée par Montesquieu(B). Ces origines sont toutefois variées tant dans
l’histoire que dans la philosophie politique(A).
A
– Les origines de la théorie
Les origines sont à la
fois historiques et idéologiques.
Parler des
origines historiques de la
théorie de la
séparation des pouvoirs revient
à rendre compte des doctrines pré
Montesquieu qui se sont intéressés à la
division du pouvoir ou tout simplement des précurseurs de Montesquieu. Dans
cette optique, il est loisible de
distinguer comme c’est souvent le cas, les précurseurs lointains, des
précurseurs proches.
Le rang des
précurseurs lointains compte de
grands noms de la philosophie politique dont Aristote et
Marsile de Padoue. Aristote a très tôt distingué l’assemblé générale délibérant
sur les affaires publiques, le corps des magistrats et le corps des
judiciaires.
L’assemblée générale
d’Aristote est incontestablement l’ancêtre du pouvoir législatif
incarné aujourd’hui par les
chambres parlementaires. Le corps
judiciaire est resté dans
son rôle consistant à veiller à l’application des lois. Cependant,
Aristote ne distingue pas clairement le pouvoir
exécutif, incarné par un Chef d’État ou un chef de gouvernement.
Le corps des magistrats dont il fait allusion fait plutôt office de
conseil du monarque sur les affaires d’ordre politique, social et économique.
Tout comme Aristote,
Marsile de Padou est connu comme étant un précurseur
lointain de
Montesquieu. Dans son
traité deffensor pacis parue en 1377, il dénonce la concentration des pouvoirs
entre les mains d’un seul organe. Il préconise la division des compétences entre une assemblée,
un corps judiciaire un conseil royal.
John Locke sera
cependant le véritable précurseur de Montesquieu. Ceci pour deux raisons :
d’abord historiquement
il est beaucoup plus proche de Montesquieu. Ensuite, matériellement le contenu
de ses travaux se rapproche plus des
idées du rédacteur de l’esprit des lois.
Dans son ouvrage le
traité du gouvernement civil, paru en 1906, Locke distingue trois fonctions dans l’État.
Ø La
fonction législative ou celle de faire les lois
Ø La
fonction exécutive ou celle de faire exécuter les lois : « parce que les lois
qui sont
une fois et en peu de temps
faites, ont une vertu constante et durable qui oblige à les respecter et s’y
soumettre continuellement, il est nécessaire qu’il ait toujours quelque puissance
sur pieds pour les faire exécuter
Ø La
fonction fédérative, chargée de la sécurité et des intérêts extérieurs.
John Locke constate
ensuite la nécessité de les séparer : « la tentation de porter la main sur le pouvoir
serait trop grande si les mêmes personnes
qui ont le pouvoir de faire les lois, avaient aussi le pouvoir de les
faire exécuter car elles pourraient se dispenser d’obéir aux lois qu’elles font
»
Ainsi avant
Montesquieu l’idée d’une
séparation des pouvoir avait été déjà
annoncée par Aristote, Marsile
de padou et John Locke. La théorie qui est finalement formulée par Montesquieu
repose sur des considérations idéologiques précises
Père fondateur du
libéralisme économique, Montesquieu considère en effet que la liberté est le bien suprême « la
liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de
l’opinion que chacun a de la sureté. » Or, selon lui, le pouvoir est l’ennemi
de la liberté. C’est le pouvoir qui peut porter atteinte à la liberté « la
démocratie et l’aristocratie ne sont pas
des états libres par
nature. La liberté ne se trouve que dans les gouvernements modernes. Mais, elle
n’est pas dans tous les gouvernements modernes. Elle ne s’y trouve que lorsqu’on
n’abuse pas du pouvoir. Mais c’est une expérience éternelle que tout homme qui
a du pouvoir est tenté d’en abuser ; il va jusqu’ à ce qu’il trouve des
limites. Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites »livre IX chapitre V.
Ainsi pour
Montesquieu, enfin d’éviter que le pouvoir ne porte atteinte au bien
précieux qu’est la liberté, il faudra limiter le pouvoir.
La première
stratégie de limitation du
pouvoir imaginée fut le droit. Mais juriste
qu’il fût, Montesquieu doutait de
l’efficacité du droit a arrêter le pouvoir. Aussi préfère-t-il opposer du pouvoir
au pouvoir. « Pour qu’on ne puisse disposer du pouvoir, il faut que par la
disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » Telle est substance
l’idée qui a favorisé la formulation de la théorie de la séparation des
pouvoirs.
B – La formulation de
la théorie
« Tout serait perdu si
le même homme, le même corps de principaux, de nobles ou du peuple exerçaient ces
trois fonctions : celle de faire
les lois, celle de faire exécuter les
résolutions publiques et celle de juger les crimes ou les différents des
particuliers » En formulant sa théorie, Montesquieu énonce un principe tout en réservant des
exceptions.
Le principe est
double : il évoque d’une part la
spécialisation fonctionnelle ou la séparation fonctionnelle et d’autre part
l’indépendance organique ou la séparation organique.
La spécialisation fonctionnelle distingue trois
fonctions : la fonction
législative, la fonction exécutive et la fonction judiciaire.
Par la première, le prince ou le magistrat
fait la loi pour un temps ou pour toujours et corrige et abroge celles qui sont
faites.
Par la seconde, il fait
la paix ou la guerre, envoie ou
reçoit les ambassades, et
préviens les invasions. Par la
troisième, il punit les crimes et règle les différents des particuliers.
Les fonctions divisées
et spécialisées doivent être attribuées à des corps différents. « Lorsque
dans la même personne
ou dans le même corps de magistrat, la puissance exécutive est réunie
à la puissance
législative, il n’y a point de liberté ; car on peut craindre que le même
monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter
tyranniquement. »
Ensuite la fonction
judiciaire doit être séparée des deux autres fonctions. « Il n’y a encore point
de liberté lorsque la puissance de juger n’est pas séparée de la fonction législative
et de la fonction exécutrice ; si elle était jointe à la puissance
législative, le pouvoir sur la vie et sur la liberté des citoyens serait
arbitraire, car le juge serait un
législateur ; si elle était
jointe à la puissance exécutrice, le
juge serait un oppresseur. »
Parallèlement à la spécialisation fonctionnelle, Montesquieu
propose une séparation
organique. Trois
personnes, organes ou corps
distincts se voient attribués
chacune des
compétences : le peuple
exerçant la fonction législative
par le biais de la chambre hausse,
l’aristocratie qui
participe au pouvoir législatif par le biais de la chambre basse, et le roi a
qui
revient le pouvoir
exécutif.
Montesquieu prévoit des
assouplissements au principe tel qu’il est formulé. Ainsi sur le plan
organique on assiste à
un double assouplissement.
D’abord dans les
relations entre exécutif et législatif, le roi a le droit de convoquer
l’Assemblée
De même dans les
relations entre le législatif et l’exécutif,
la responsabilité pénale des ministres
peut être mise en cause
par l’assemblée.
Sur le plan législatif,
l’assouplissement est aussi double. Dans les relations exécutif et législatif,
le roi dispose de la
prérogative de neutraliser l’assemblée : c’est le droit de véto
Dans les relations
entre le législatif et l’exécutif, l’assemblée
dispose du droit de contrôler
l’action des ministres.
Tel est le contenu de
la théorie formulée par Montesquieu. Comment cette théorie a-t-elle été
reçue dans les
différents systèmes juridiques ?
II- les applications
de la théorie
L’interprétation de la
théorie a fait apparaitre des régimes
politiques différents selon que les séparations soient souples(A) ou rigides(B)
A
– les séparations souples
La séparation souple a
débouché sur le régime parlementaire.
Par définition le
régime parlementaire est une
organisation politique des
pouvoirs politiques dans
lequel le gouvernement est
responsable devant un parlement qui peut inversement le renverser.
La séparation est
assouplie à deux niveaux : d’abord au plan organique, la séparation organique existe
belle et bien mais chaque organe est d’une manière ou d’une autre dépendant de
l’autre. La dépendance du chef est nulle
si c’est un monarque, mais relativement forte si c’est un président, car il est
élu par le peuple.
La
dépendance du gouvernement est plus visible. D’abord au stade de
l’entrée de leurs fonctions, les membres
du gouvernement prêtent serment devant le parlement ou sont dans certaines
situations désignés par lui. La fin de leurs fonctions peut aussi être
provoquée par le parlement par le vote d’une motion de censure.
La dépendance organique
du pouvoir législatif est traduite par la nomination des membres de la chambre
basse par le Chef de l’État. Mais la dépendance la plus fragrante est traduite
par le droit de dissolution. C’est une véritable prérogative qui permet au
gouvernement de dissoudre le parlement et de convoquer de nouvelles élections.
Elle se présente comme un mécanisme d’équilibre institutionnel car venant en
réponse à la censure du parlement.
L’assouplissement fonctionnelle est traduite
par le fait que les deux fonctions
politiques quoique bien séparées et distinctes, peuvent s’interpénétrer. Ainsi en période
normale, l’initiative des lois est partagée entre le gouvernement et le
parlement. En période exceptionnelle, le gouvernement peut intervenir par
délégation dans le domaine du parlement.
D’autre part, les compétences de ratifications
des traités par l’exécutif, sont conditionnées par des autorisations du
parlement.
Cette
interpénétration des pouvoirs dans le domaine de chacun, ne remet pas en
cause la séparation. Il s’agit juste d’un assouplissement. On parle souvent de collaboration des
pouvoirs.
C’est sur cette
collaboration et les moyens de neutralisation réciproques que le modèle du
régime parlementaire a été construit. Mais à y voir de plus près, le régime
parlementaire présente deux visages. On distingue traditionnellement le
régime parlementaire moniste, du
régime parlementaire dualiste.
Le régime parlementaire
dualiste est celui dans lequel le chef
de l’État joue un rôle politique prépondérant. Il se caractérise par une double
responsabilité du gouvernement à la fois devant le parlement et le chef d’État.
Le droit de dissolution appartient dans ce système au chef de l’État ; on parle
alors de dissolution royale.
Le régime parlementaire
moniste est quant à lui, celui dans
lequel, l’exécutif est bicéphale. Le chef est politiquement effacé. L’essentiel
du pouvoir exécutif est concentré entre les mains du gouvernement, porté par un
premier ministre. En conséquence, seul le gouvernement
est responsable devant le
parlement. Le monarque est
politiquement irresponsable. C’est ce modèle qui a été choisi par la
Grande-Bretagne.
B
– Les séparations rigides
Les séparations rigides
sont celles qui se ventent d’être fidèles aux principes séparateurs de
Montesquieu :
distinction et indépendance des organes, spécialisation rigide des fonctions.
La séparation
rigide débouche sur le régime dit
présidentiel. Le modèle typique est celui
des
États-Unis d’Amérique.
Aux États –Unis, l’exécutif et le
législatif sont organiquement
et fonctionnellement indépendants.
D’abord, sur le plan
organique, chacun des organes prend fonction indépendamment de l’autre.
Le Président est investi par son parti et élu
par le peuple, en marge du parlement qui est aussi élu au suffrage universel.
Quant à la fin des fonctions, le président ne peut politiquement pas être
renversé par le congrès. De même, le congrès ne peut être renversé par lui.
La séparation
fonctionnelle est aussi rigide mais avec quelques failles de souplesse. En
effet le
Chef d’État ne dispose
pas de l’initiative des lois mais il dispose du Veto qui lui permet de faire obstacle
aux propositions de lois du congrès.
Le congrès peut aussi
opposer son veto à la ratification
des traités signés par le Président.
Le régime
présidentiel a pour variance
le régime présidentialiste. Il s’agit en réalité d’une déformation
caractérisée par une prépondérance outrageuse du président et une domestication
du législatif.
© Landry AWISSOBA,
Juriste en troisième Cycle.
Votre 《article》est plus qu'inspiré par mon cours auquel vous faites allusion, mais que vous ne citez pas. Dommage que tout cela soit publié sous les auspices de Montesquieu.
RépondreSupprimerbonjour mon chers. Tout d'abord, mes remerciements les plus sincères pour l'énorme richesse du document.
RépondreSupprimertoutefois j'ai besoin en tant que nouveau dans le droit de quelques précisions.
premièrement ,c'est le cas de l'élection du président des Etat unis.je pensais que le dernier mot revenais au grands électeurs.
Deuxièmes je voulais plus de détail sur la variante (régime présidentialiste)
merci infiniment