Le principe de non-ingérence à l'épreuve du devoir de vigilance du banquier

Le groupe Montesquieu




🔵 Le principe de non-ingérence à l'épreuve du devoir de vigilance du banquier🔵





Parmi les obligations qui gouvernent l'action des établissements de crédit dans l'accomplissement des opérations de la clientèle certains ont un objectif de protection de l'intérêt général, d'autres par contre sont orientés vers la clientèle afin de la protéger. Dans ces conditions l'articulation de ces séries d'obligations peut paraître difficile. Il en va ainsi lorsque le banquier se trouve pris entre deux principes à priori contradictoires : l'obligation de vigilance et le principe de non-ingérence
Si le principe de non-ingérence protège la clientèle des immixtions du banquier dans ses propres affaires, le devoir de vigilance commande à celui-ci une certaine immixtion. Cette dernière recommandation prend de plus de l'ampleur surtout avec la Lutte contre le Blanchiment des Capitaux et le Financement du Terrorisme (LBC/FT). Il y'a, pour ainsi dire, un certain mouvement tendant à la responsabilisation des banques.
Aussi est-on en droit de se demander que reste-il aujourd'hui du devoir de non-ingérence du banquier ?
Ainsi après avoir présenté le devoir de non-ingérence du banquier(I) il conviendra de relever les exceptions à un principe général d'abstention(II).

I- Le principe de non-ingérence, un devoir général d'abstention du banquier

A- Le contenu du principe

Le principe de non-ingérence, encore appelé principe de non immixtion, impose aux établissements de crédit de ne pas intervenir dans les affaires de leurs clients et les places en conséquence dans une position de neutralité. La première application jurisprudentielle de ce principe semble être l'arrêt "Ducrocq" (C. cass. 28 janvier 1930). Cet arrêt relève que " _les banques n'ont pas à rechercher l'origine ou la cause des opérations transitant par le compte de leur client. C'est le principe de non-ingérence_". Ce principe ne s'applique donc pas seulement à l'occasion du fonctionnement du compte des clients mais s'applique aussi en matière de vente de titre au porteur par l'entremise de la banque. Ce qu'il faut retenir, c'est que le banquier n'a pas, pour l'octroi de crédit, sauf exception, à apprécier l'opportunité pour son client. Il n'est pas " _le directeur de conscience économique de son client_" encore moins son "tuteur". L'obligation de conseil, faut-il le relever est d'intensité variable selon qu'il s'agisse d'un profane ou d'un professionnel. Le client profane est celui qui est dans une situation de déséquilibre de connaissance par rapport au banquier qui est un professionnel. Dans ces conditions le banquier devra  fournir au client profane toutes les informations lui permettant de mesurer en toute connaissance de cause(B to C), la portée de ses actes. Ce qui n'est pas forcément le cas lorsque les parties au contrat sont toutes des professionnels(B to B) .
S'il est vrai que ce principe tant à protéger le client, il préserve également les établissements de crédit des actions en responsabilité qui pourront être engagées contre eux. 

B- Une obligation source de responsabilité

Le contentieux bancaire en la matière connaît une effervescence sans précédent.
En effet, comme l'a souligné STOUFFLET, " _le banquier n'a pas à se substituer à son client dans la gestion de l'entreprise de ce dernier. S'il le faisait, il risquerait d'être considéré comme un gérant de fait et se serait exposé en cas de liquidation des biens ou règlement judiciaire, aux sanctions civiles et pénales frappant  les dirigeants fautifs_
La cours d'appel de Toulouse a jugé le 16 février 1984 que le demandeur ne saurait reprocher à son banquier de ne pas l'avoir dissuader dans son entreprise de rachat d'une société, car s'il en était différemment, cela aboutirait à faire peser sur le banquier l'opportunité des crédits qu'il consent. C'est au contraire en s'ingérant que le banquier s'expose à des difficultés.
Le banquier est susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée en tant qu'auteur principal ou complice du client. De très nombreuses infractions de droit commun sont prévues par le code pénal. C'est le cas par exemple de l'abus de confiance prévu à l'article 430 al 2 du Nouveau Code Pénal Togolais. Le banquier est susceptible également de voir sa responsabilité recherchée sur le fondement d'une incrimination prévues par des dispositions spéciales.
Cependant ce principe n'est pas absolu, il trouve ses limites dans une obligation générale de vigilance (de prudence) et ses variante.

II- Un principe mis en mal par le devoir de vigilance

A- L'érection d'une obligation de vigilance par le juge
Les juges ont élaboré une obligation de vigilance à partir des articles 1147 anc/ nouvel art. 1231-1 c. civ, 1134 anc./nouvel art. 1193 c. civ. (responsabilité contractuelle vis à vis des clients) et également 1382 anc/1240 nouveau et 1383anc/1241 nouveau (vis à vis des tiers). Il s'avère donc que le principe de non-ingérence n'est prévu par aucune loi ni texte.
Une construction jurisprudentielle impose au banquier une obligation de surveillance des comptes bancaires. Deux situations :
- le client accompli des actes frauduleux portant préjudice en se servant de son compte bancaire(ex: blanchiment d'argent)
-préjudice causé par des tiers au client
Si l'on en croit les termes de la jurisprudence, le banquier est tenu de relever les _anomalies apparentes_. La définition n'ayant pas été donnée par les textes seule l'analyse de la jurisprudence qui permet de dégager les deux types d'anomalies apparentes :
-anomalies matérielles(ratures et surcharge sur documents bancaires)
-anomalies d'ordre intellectuel(opérations illicites). Ainsi dans un arrêt du 22 nov 2011, la chambre commerciale a sanctionné un établissement bancaire au motif de la violation par ce dernier de son bon fonctionnement.
Avec le développement des activités criminelles ce devoir de vigilance semble de plus en plus renforcé. 

B- L'expansion du devoir de vigilance

L'obligation de vigilance en matière de LBC/FT peut s'analyser comme un troisième tempérament au principe de non-ingérence .
Le banquier doit dénoncer les sommes et opérations qui paraissent suspectes, sous peine de sanctions professionnelles et pénales.
Il existe au plan international (la création du Groupe d'Actions Financière Internationale G.A.F.I.) et au niveau communautaire un dispositif de LBC/FT . Ainsi donc dans l'espace UEMOA il existe un arsenal juridique  destiné à combattre le phénomène. Sachant que ces genres de fléaux ne prospèrent qu'autant qu'il y'a financement, lequel transite en grande partie via les comptes bancaires on peut comprendre aisément l'acharnement du législateur sur les établissements de crédit. Le Décret-cadre portant création, organisation d'une Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CE.N.T.I.F.) institue à la charge des établissements bancaires une obligation de faire des déclarations de soupçons (et non de certitude) à ladite cellule. Aussi dans le même sens l'art 901 al 2 .
Au demeurant, l'intérêt général primant sur l'intérêt des particuliers, il est heureux de constater que le principe de non-ingérence connaisse un certain recul(entorse nécessaire à la vie privée art 9c. Civ) vis à vis du devoir de vigilance qui semble prendre une envolée justifiée dans un contexte de crimes transfrontalières.


 Primos E. GANGBAZO, Master Droit privé fondamental. 

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