Vous avez dit adressage des voies au Togo ?

 



Depuis quelques heures, des discussions s’enflent autour d’un projet de la Commune de Golfe 4 relatif à la « modification des dénominations de certaines artères » de ladite commune située au cœur de Lomé, la capitale togolaise.

L’intérêt voire la polémique que suscite ce projet s’explique non seulement par la personne de son initiateur, le Maire Jean-Pierre FABRE, mais aussi par le fait que le Togo de la IVe République fait ses premiers pas sur la voie complexe mais indispensable de la décentralisation.

Il est clair qu’il ne me revient pas d’apprécier l’opportunité de cette réforme communale en gestation. Je mets à travers ces lignes, à la disposition de toute personne désireuse, des informations nécessaires à la compréhension de ce phénomène. J’en suis conscient, je laisserai certains sur leur soif, si je manque d’apporter une touche conceptionnelle à ces échanges, en m’abstenant, par fausse modestie, de toute proposition pouvant être utile.

1- Qu’est-ce que la « dénomination » des voies ?

La dénomination des voies est une opération technique de désignation de voies légalement appelée « adressage ». Elle vise à conférer aux voies des noms par lesquels elles seront facilement identifiables.

L’adressage de façon plus holistique est une opération de panneautage (pose des poteaux et plaques de rues) et de numérotage (de portes ou de maisons) qui permet, de localiser, sur le terrain une parcelle ou une habitation à partir d’un système de cartes et de panneaux mentionnant la numérotation ou la dénomination des rues et des constructions. Cette notion peut être, bien évidemment, étendue aux réseaux et services urbains. Ainsi, l’on peut adresser une voie, une construction et des mobiliers urbains tels que les bornes-fontaines, les lampadaires publics ou encore les stations de taxi. 

2-  Pourquoi l’adressage ?

L’adressage est une nécessité pour plusieurs raisons.

  • Pour la Collectivité locale (Commune), l’adressage facilite la gestion urbaine et la mobilisation des ressources. En effet, un adressage global est un puissant outil de programmation et de gestion des services techniques et un efficace outil d’amélioration de la fiscalité locale. D’une part, il facilite le recensement et la maîtrise du patrimoine public et permet la mise en place d’un suivi et d’une aide à la programmation urbaine. D’autre part, à partir des informations issues de l’adressage, il est possible de localiser et de recenser les personnes physiques et morales soumises à l’impôt et ainsi, mieux définir l’assiette fiscale.

  • L’adressage est tout aussi bénéfique directement à la population. En réalité, un adressage réussi rend la lecture de la ville plus évidente. On devrait, avec sa généralisation réussie, finir avec les « troisième VONS à gauche et puis, tout droit jusqu’à l’école primaire qui se trouve à côté de... » ou encore « la cinquième rue derrière la maison KLUSSEY en allant vers la bibliothèque LISEZ-MOI, juste en face de … ». C’est dire qu’un bon adressage améliore le repérage et l’orientation, facilite les interventions d’urgence (ambulance, pompier, police...) et permet une meilleure localisation des services urbains.

  • Quant au secteur privé, l’adressage améliore plusieurs services comme celui de livraison à domicile, celui de l’électricité, celui de l’eau, celui de la télécommunication, etc.

3- Qui fait l’adressage ?

 Que ce soit dans des vieilles démocraties comme dans celles relativement jeunes, l’adressage des voies relève des prérogatives des collectivités locales. Ainsi, au Bénin, au Sénégal ou en France, il est l’œuvre des communes. Au Togo, l’article 82 de la loi n° 2007-011 du 13 mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales, modifiée par la loi n° 2018-003 du 31 janvier 2018 et la loi n° 2019-006 du 26 juin 2019 puis par la loi du 1er octobre 2021 en fait une des compétences propres des communes.

En France, il existe une distinction entre les routes nationales, celles départementales et les routes communales. La définition des voiries nationales, départementales et communales est fixée aux articles L. 121-1, L. 122-1, L. 123-1, L. 131-1, L. 141-1, L. 151-1 et L. 161-1 du code de la voirie routière.

Il est important de préciser que le code de la route a fait une récognition de cette séparation notamment à l'article L. 110-1 de l' Ordonnance 2000-930 2000-09-22 (JORF 24 septembre 2000) portant Code de la Route.

Ainsi, en France, les routes nationales sont sous l'autorité de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, les services routiers de l'État tandis que les routes départementales et communales sont respectivement sous l'autorité de la Préfecture et de la Commune. 

Il va de soi que l'on ne peut adresser que ce qui est sous son autorité. 

Le Togo, semble-t-il, n'a pas de pareilles dispositions dans son droit positif. Il apparaît ainsi l'existence d'un vide juridique qu'il convient de combler par un texte législatif ou réglementaire en fonction du contenu de celui-ci selon qu'il relèvera de l'article 84 (domaine de la loi) ou de l'article 85 (domaine du règlement) de la constitution togolaise en vigueur. 

Ce texte peut également être mixte (à la fois législatif et réglementaire) si, par exemple, il assemble, dans un même corpus, une partie législative et une partie réglementaire. Qu'à cela ne tienne, considérant la forte rationalisation des Parlements dans le monde et la technicité des lois de nos jours, que cette mesure relève du domaine de la loi ou des règlements, il revient au gouvernement de jouer le premier rôle dans le remblayage de ce vide qui ne saurait être imputé aux collectivités locales. Ces dernières ne peuvent prendre des mesures de voiries qu'au plan local. 


4- Qu’est-ce qu’un bon adressage ?

 Une adresse n’est supposée bonne que quand elle est massivement utilisée. Ainsi, si elle n’a pas de sens pour les habitants, ça ne sert à rien. Cela dit, on peut en déduire que le bon adressage, c’est celui dans lequel les citoyens se retrouvent. C’est celui qui fait ressortir des réalités historiques, culturelles, patrimoniales, , locales et si, possible, transmet un message aux populations.

 Les règles de bonnes pratiques dans la dénomination des voies sont les suivantes :

  • Éviter les homonymies ou noms à consonances identiques : Rue Assiyéyé / Route Assiyéyé,

Rue du Pont / Rue Dupont.

  • Éviter les changements récurrents de libellés des voies existantes.
  • Éviter les libellés de voies trop longs : Avenue Eric Kodzo Mawaba Bahema Kuma Ikakiri DJEBI
  • Éviter les caractères spéciaux : l’usage des £ ; Ø ; Č ; Ď ; đ, etc., dans l’estampillage de la voie.

Cette liste n’est pas exhaustive.

5- Pour l’amélioration du processus d’adressage au Togo

L’adressage d’une voie est une opération trop délicate pour la laisser exclusivement aux mains et à la discrétion exclusive des seules collectivités locales. A défaut d’en faire une compétence partagée entre les communes et l’Etat, il est souhaitable que cette pratique soit réglementée par un arrêté interministériel des ministères en charge de la décentralisation et de l’urbanisme ou encore, par un décret.

Qu’il soit clair, l’idée n’est pas de retirer cette prérogative aux communes. Elle doit être tout simplement encadrée afin qu’on éloigne le risque de tomber dans des dénominations fantaisistes et à des tentatives de réécriture solitaire de l’histoire commune.

On peut, par exemple, rendre obligatoire, dans le processus d’adressage des voies (Allée, Avenue, Boulevard, Chemin, Cours, Impasse, Passage, Place, Quai, Route, Rue, Ruelle, Square,...) l’installation d’une commission spéciale composée entre autres d’élus locaux, du Secrétaire général de la Mairie, d’un Représentant de la Préfecture, d’un ou deux représentants des Chefs des quartiers ou cantons concernés, d’un Représentant des CVD et/ou CDQ concernés, d’un Représentant du Ministère en charge de l’urbanisme, d’un Représentant du Ministère en charge de la Décentralisation, d’un Représentant du département d’histoire d’une des Universités du Togo et de tout expert que l’Etat et la Commune jugeront utile.

Ainsi, cette commission fera des propositions ou des contre-propositions de noms des voies au conseil municipal à travers l’exécutif local. De même, cette commission peut proposer un répertoire de noms de voies dans lequel le Maire et son Conseil peuvent s’approvisionner à souhait pour toute opération d’adressage.

Cette démarche aura le mérite de nous épargner du risque de nous retrouver avec des noms d’animaux peu recommandables ou encore avec des noms de personnalité entrée par la petite porte dans l’histoire ou encore d’avoir des noms clivants et boudés par les populations ou pire, des noms des copains, des copines, des coquins et coquines des majorités communales. Ce risque n'est pas nul. Il est donc important de ne pas laisser l'adressage d'un domaine communal, partie du patrimoine national, à la simple vertu de quelques élus.

 

©Abel KLUSSEY, Administrateur des Collectivités Locales.

Juriste, Chercheur en Droit Public.

Énarque, Gestionnaire des collectivités locales.

Tel : 91 82 88 22 / abelklussey@gmail.com

http://www.linkedin.com/in/abel-eklou-klussey

 


Commentaires

  1. Je suis tout à fait d'accord avec ces propositions. Ceci ne devrait pas être une compétence propre aux collectivités territoriales, mais au contraire partagée entre la collectivité publique et les collectivités décentralisées.

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  2. Merci d'avoir éclairé nos lanternes. Chacun a apprécié l'initiative à sa manière, mais je me suis toujours demandé à qui revient le droit de l'adressage des rues.

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    1. Merci, cher(e) ami(e) pour le retour. Eh bien, je crois que vous avez non seulement la réponse mais aussi, mon souhait notamment en ce qui concerne les propositions de réformes.

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  3. Merci d'avoir pris le temps d'expliquer le sujet. Avant toute chose, rappelons bien que le droit togolais, entendu par là, le droit africain francophone est adjoint au droit français. Et en pratique, tout sujet tendant à un vide juridique dans un État francophone se règle généralment avec les dispositions afférentes au dit sujet, inscrits dans le droit français ou dans le droit international selon les cas.
    L'argument juridique ne peut donc prétendre à un vide absolu dans le cas du droit et des prérogatives de l'adressage.
    Sur votre proposition d'une commission, elle est la bienvenue, mais ma touche serait que ladite commission se crée par décret instituant le cadre, mais que se soit rigoureusement circonscrite dans l'intercommunalité. Les membres de la commission ne seront pas nommés par le ministère, mais envoyés par les communes pour siéger en leur noms au sein de la commission intercommunale. Ces membres, des techniciens de topographie et d'aménagement urbain, des des anthropologues, sociologues,juristes et linguistes... pourront étudier les propositions venant des différentes communes tendant à l'adressage des rues émanant ou traversant leurs communes. Les propositions seront défendues devant la dite. commission par les porteurs du projet...cela nous éviterait les récupérations politiques et les nettoyages de memoire historique.

    Yawovi Akolli,
    yaoviako@yahoo.fr

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    1. Cher Yawovi, merci à la fois pour l'intérêt et pour vos propositions. Ce n'est qu'ensemble que nous apporterons notre pierre à l'édification nationale. Nous sommes à l'Acte I de notre décentralisation. Paris n'est pas fait en un seul jour. C'est au fur et à mesure de l'avancée que nous nous rendrons compte des éventuelles imperfections qui, sans nul doute, nous aiderons à rectifier nos tirs. Bien à vous, cher ami.
      Abel

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