Le contrôle de constitutionnalité : cas du Bénin et du Togo
«La
justice constitutionnelle fait des règles constitutionnelles des normes
juridiquement obligatoires, de véritables règles de droit en y attachant une
sanction. Sans elle, la Constitution n’est qu’un programme politique, à la
rigueur obligatoire moralement, un recueil de bons conseils à l’usage du
législateur, mais dont il est juridiquement libre de tenir ou de ne pas tenir».
Cette affirmation de Charles Eisenmann[1] illustre avec netteté et intelligence la
nécessité du contrôle de constitutionnalité dans les pays qui aspirent à la
démocratie et aux respects des droits de l’Homme. Le Togo et le Bénin, tous
deux pays d’Afrique de l’Ouest n’ont pas ignoré cette nécessité. Ils ont dans leurs
constitutions respectives, prévu un organe chargé de sanctionner la violation
de la constitution qui est la cour constitutionnelle[2]. Notre réflexion porte sur
une analyse comparative des moyens de contrôle de constitutionnalité au Bénin
et au Togo.
Le contrôle de constitutionnalité est « l’ensemble des moyens juridiques dessinées
à assurer la conformité des règles de droit à la constitution »[3].
Selon une conception de Hans Kelsen, la justice constitutionnelle est une
garantie de la constitution.[4]Elle est alors chargée de
veiller au respect de la norme fondamentale. Pour effectuer ce contrôle, il
faut que le juge constitutionnel soit saisi à cet effet.
Quels
sont les points de comparaison entre le contrôle de constitutionnalité au Togo
et le contrôle de constitutionnalité au Bénin ?
Il
faut noter qu’il existe des moyens de
contrôle communs aux juges béninois et togolais. Cependant il existe une grande
particularité dans la saisine du juge constitutionnelle béninois.
Note
sujet comporte un intérêt aussi bien théorique que pratique. En théorie il nous
permet de comparer les moyens de contrôle de constitutionnalité au Bénin et au Togo.
En pratique il nous enseigne que le contrôle de constitutionnalité est un
symbole du bon fonctionnement des institutions étatiques et un instrument
garantissant le respect des droits des citoyens.
Le
contrôle de constitutionnalité est d’actualité. La cour constitutionnelle du
Bénin a exercé son contrôle sur la
loi n° 2017-43 modifiant et complétant
la loi n°2015-18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la Fonction
Publique votée par l’Assemblée Nationale le 28 Décembre 2017[5]. La cour constitutionnelle
sous la présidence de M Théodore HOLO, a déclaré certaines dispositions de
cette loi contraires à la constitution.
Notre
réflexion s’attachera à comparer les moyens de contrôle de constitutionnalité
dans ces deux pays. Il s’agira dans un premier temps d’étudier les points
communs dans le contrôle de constitutionnalité au Bénin et au Togo(I), puis
dans un second temps de ressortir la
spécificité du contrôle de constitutionnalité au Bénin(II).
I /Les
techniques communes de contrôle
Les
constituants béninois et togolais ont prévu le contrôle par voie d’action(A) et
celui par voie d’exception(B).
A/Le
contrôle par voie d’action
Le
contrôle de constitutionnalité par voie d’action consiste à intenter
directement une action contre la règle de droit qui semble contraire à la constitution.
C’est un contrôle abstrait. L’article 104 alinéa 5 de la constitution Togolaise
de 1992 dispose : « Les
lois peuvent, avant leur promulgation, lui être déférées par le Président de la
République, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale ou un
cinquième (1/5) des membres de l’Assemblée Nationale ». L’alinéa 6 du
même article donne la compétence à la cour constitutionnelle de statuer sur la
constitutionnalité des lois organiques,
des Règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale, de l’Autorité de l’Audio-visuelle
et de la Communication et du Conseil Economique et social avant leur application.
Ce contrôle par voie d’action n’est pas absente dans la constitution béninoise
de 1990, qui dans son, article 117 et 121 comportent des dispositions presque similaires. Dans ces
deux pays, le contrôle de constitutionnalité peut aussi être exercé par voie
d’exception.
B/Le
contrôle par voie d’exception
Il
est souvent appelé le contrôle concret car il intervient au cours d’un procès.
Il s’agit d’un recours incident, accessoire, qui vient se greffer sur un
litige principal devant le juge
ordinaire[6]. Au cours d’un procès
devant une juridiction ordinaire, une
des parties au litige invoque l’inconstitutionnalité d’une loi. Le juge ordinaire doit surseoir à statuer et
saisir la juridiction spécialisée et c’est cette dernière qui donnera la
réponse à la question soulevée devant le juge ordinaire. L’article 122 de la
constitution béninoise dispose : « Tout citoyen peut saisir la cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois,……..soit
par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une
affaire qui le concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir à statuer jusqu’à la décision de la cour constitutionnelle
qui doit intervenir dans un délai de
trente jours ».Le justiciable Togolais peut aussi au cours d’une instance judiciaire, in limine litis, devant les cours et tribunaux, soulever l’exception d’inconstitutionnalité d’une loi.
Dans ce cas, la juridiction sursoit à statuer et saisit la cour
constitutionnelle qui doit statuer dans le délai d’un mois.
Il
faut cependant noter que le constituant béninois de 1990 a apporté beaucoup de
particularités dans la saisine du juge
constitutionnelle.
II/La
particularité du contrôle de constitutionnalité au bénin
La particularité du
contrôle de constitutionnalité au Bénin se situe non seulement au niveau de
l’élargissement de la saisine du juge constitutionnel(A) mais aussi dans le
mécanisme de plainte des justiciables devant le juge constitutionnel(B).
A/L’élargissement
de la saisine du juge constitutionnel béninois
Au
Bénin la saisine de la cour constitutionnelle est ouverte et facile.
D’abord l’article 121 de la constitution
béninoise élargit le nombre d’autorités politiques habilitées à saisir la cour
constitutionnelle. Selon cet article, tout membre de l’Assemblée Nationale, c’est-à-dire un seul député peut
saisir la cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation.
Or au Togo il faut réunir un cinquième des membres de l’Assemblée Nationale à
cet effet[7] ; il en est de même
en France, au Mali, au Niger…
Ensuite,
il existe au Bénin le recours direct devant le juge constitutionnelle. Ce
recours est exercé par tout citoyen. Selon l’article 122 de la constitution
béninoise de 1990 , « Tout citoyen peut saisir la cour
constitutionnelle sur la constitutionalité des lois, soit
directement...... ». Ce recours n’existe pas au Togo. Il existe par
ailleurs en Espagne, en Allemagne et en Suisse, à condition que le plaideur ait
épuisé toutes les voies de recours du droit interne.
Enfin
le juge constitutionnel béninois peut
d’office s’auto-saisir en cas d’atteinte aux droits fondamentaux et aux
libertés publiques par la loi ou le règlement[8] .
La
cour constitutionnelle offre une place importante aux particuliers lorsque
leurs droits constitutionnels sont violés.
B/Le
cas particulier de la plainte des citoyens devant le juge constitutionnel
Les pouvoirs conférés au juge
constitutionnel béninois sont énormes. La constitution a institué le mécanisme
de « la plainte » en son article l’article 120 : « La Cour
constitutionnelle doit statuer dans le délai de quinze jours après qu'elle a
été saisie d'un texte de loi ou d'une plainte en violation des droits de la
personne humaine et des libertés publiques ». En réalité, le mécanisme posé
aux articles 3 et 120 de la constitution permet à tout citoyen de saisir le
juge constitutionnel aux fins de vérifier la compatibilité d’un acte
extra-normatif, d’un fait, voire d’un propos[9] avec les
dispositions constitutionnelles[10]. La
plupart du temps ces « plaintes » sont portées contre les agents de
service public de la gendarmerie, de la police, des douanes, les forces de
l’ordre[11] ou même
contre les particuliers dans leurs rapports horizontaux. «Elle peut être mise en œuvre sans ministère
d’avocat et la célérité du juge constitutionnel a contribué à converger vers
son prétoire, bien de justiciables et bien des affaires qui auraient plutôt
nécessité l’examen du juge ordinaire. C’est en effet un des points qui relèvent
le caractère révolutionnaire du mécanisme »[12].
Il faut noter que la seule restriction qu’apporte le
constituant au droit de saisine du citoyen est celle qui l’oblige à attendre la
promulgation de la loi. Avant l’accession formelle de la norme à la vie
juridique, la saisine n’est ouverte qu’aux autorités politiques. Ce mécanisme
de défense des droits fondamentaux est une particularité du Benin.
Contrairement à la constitution Togolaise qui ne permet par un contact direct
des citoyens avec le juge constitutionnel, la constitution béninoise « conduit directement et sans intermédiaire le
citoyen devant la cour constitutionnelle»[13].
Au demeurant, notons que le
contrôle de constitutionalité est institué pour protéger la constitution et
surtout les droits fondamentaux des citoyens. Ce contrôle ne peut être efficace
si une grande partie de la population ne
peut pas saisir directement le juge constitutionnel. S’il est vrai qu’au Togo
le citoyen peut saisir le juge constitutionnel suite à une exception
d’inconstitutionnalité soulevée à l’occasion d’un procès devant le juge
ordinaire, il faut toutefois rappeler qu’en l’absence de tout procès, le
citoyen togolais ne peut pas demander l’annulation d’un acte juridique qu’il
estime contraire à la constitution. Le citoyen béninois peut alors s’estimer
heureux de participer tous les jours avec le juge constitutionnel à la
protection de sa constitution et de ses droits. C’est d’ailleurs la
particularité de la saisine du juge constitutionnel béninois qui fait de lui un
modèle en Afrique.
Par OFFANLAKE Atafè
Adéssina Fataï,
Master justice et droit du procès
Uiversité de kara
[1]
Eisenmann(C.), La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle
d’Autriche, Paris/ Aix- En - Province, Economica/P.A.U.M, 1986,P.22
[2] Article
104 de la constitution togolaise de 1992 et
et article 114 de la constitution béninoise de 1990
[3] Gicquel
(J.) et Gicquel (J-E .)
[4] Kelsen (H.), « La
garantie juridictionnelle de la constitution»,R.D.P.,1928,pp.127-257
[5] Décision
DCC 18-001 du 18 janvier 2018
[6] Il peut
s’agir soit du juge judiciaire, soit du juge administratif
[7] Article
104 alinéa 5 de la constitution togolaise de 1990
[8] Article
121 de la constitution béninoise
[9] Deux
décisions de la Cour éclairent bien sur ce développement du contrôle de
constitutionnalité au Bénin. Il s’agit des décisions DCC 13-071 du 11 juillet
2013 et DCC 14-156 du 19 août 2014. Dans la décision 13-071 du 11 juillet 2013,
la Cour a jugé contraires à la constitution, les propos tenus par le Chef de
l’Etat à l’occasion de l’entretien télévisé dénommé « Boni Yayi à coeur ouvert
» diffusé le 2 août 2012 sur les chaînes de télévision. Quant à la décision DCC
14-156 du 19 août 2014, la Cour a jugé que Fatoumata Djibril Amadou, Ministre
de l’Agriculture a violé la constitution en tenant des propos favorables à un
troisième mandat pour le Président de la République, dans une émission
télévisée.
[10]
Aïvo (F.J.), Contribution à l’étude de la garantie juridictionnelle des droits
fondamentaux, « Retour sur vingt ans de jurisprudence
constitutionnelle (trop active) au Bénin », Revue électronique www.Afrile.com, consulté le 12 février 2018
[11] Affaire Favi Adèle, Décision DCC 02-058 du 04
juin 2002.
4juin 2002,dans cette affaire le juge constitutionnel Béninois a
décidé que constitue « un
traitement inhumain et dégradant le fait de la garde rapproché du chef de
l’Etat d’avoir soumis madame Favi à des bastonnades, des coups de pied de
rangers, des chicotes et l’avoir trainé par terre jusqu’à une distance de 50
mètres avant de la laisser inerte sans connaissance ».
[12]
Aïvo(F.J.),
.), Contribution à l’étude de la
garantie juridictionnelle des droits fondamentaux, « Retour
sur vingt ans de jurisprudence constitutionnelle (trop active) au Bénin »,op
cit
[13] idem
Exeptionnel
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