Contrat administratif: vous avez dit : le juge, les parties et les tiers ?


    
  INTRODUCTION

    Les actes administratifs unilatéraux, constituent le moyen d’action par excellence de l’administration, du moins de la personne publique. Toutefois cette dernière c’est-à-dire la personne publique, peut également agir par la voie contractuelle. Ainsi parle-t-on de contrat administratif ; contrat conclu par une personne publique dans le cadre de l’exécution d’une mission de service publique, et comportant à cet effet les clauses exorbitantes de droit commun, le contrat administratif lors de sa conclusion ou de son exécution, peut faire naitre un litige, ce qui entraine un contentieux contractuel administratif. La présente réflexion s’inscrit dans ce cadre. Elle se rapporte aux acteurs du contentieux contractuel administratif, en l’occurrence le juge, les parties, et les tiers.

    En droit administratif, on entend par juge, le magistrat investie du pouvoir de trancher les litiges à caractère administratif. Par parties, il faut entendre les personnes morales, physiques ayant conclu un contrat administratif, il peut s’agir des administrations entre elles ou d’une administration et une personne privée. Quant au tiers il s’agit de toute personne qui ne figure pas dans un contrat administratif comme partie. Ces trois acteurs figurent dans le contentieux administratif contractuel, qui doit s’entendre comme l’ensemble des litiges survenu dans le cadre du contrat administratif et qui conduisent à la compétence du juge administratif.

    Il convient de noter que le contentieux de l’opération contractuelle en Droit Administratif est complexe. Plein contentieux à la base, il le demeure en principe ; mais il s’est peu à peu rapproché de l’excès de pouvoir dans la mesure où de nombreuses clauses de contrats administratifs s’apparentent de par leur généralité et leur impersonnalité à des règlements. En conséquence, le droit de recours s’est élargi et diversifié. Recours par excellence en contentieux contractuel administratif, le recours de pleine juridiction pendant longtemps pouvait s’engager que par les parties au contrat, cependant aujourd’hui, avec les évolutions jurisprudentielles, il reste ouvert aussi aux parties et aux tiers au contrat. Quant au recours d’excès de pouvoir, il n’est admis que lorsqu’il est dirigé contre les actes détachables et les actes règlementaires. La consolidation du régime du contentieux contractuel a conduit à l’élargissement  des voies de recours avec l’instauration des référés pré-contractuel et des référés contractuel, qui permettent au juge de statuer illico presto sur des questions liées à l’inobservation de certaines règles de formation du contrat. Aussi doit-on mettre en exergue le développement considérable de l’office du juge. 

    La thématique a le mérite de mettre en exergue les attributs des acteurs susmentionnés en contentieux contractuel administratif.
    Il est donc opportun de réfléchir sur la problématique de l’actualité du régime du contentieux contractuel administratif ; autrement quelle est l’actualité des règles régissant le contentieux contractuel ?
    S’il est admis une immixtion du tiers en matière de contentieux contractuel aujourd’hui(II), il n’en demeure pas moins évident que le contentieux contractuel soit un dialogue entre le juge et les parties(I)















I)                   LE CONTENTIEUX CONTRACTUEL : un dialogue entre le juge et les parties

    Le contentieux contractuel demeure essentiellement, un dialogue entre le juge et les parties en ce sens que nonobstant le développement de l’office du juge(A), le contrat administratif reste la loi des parties(B)

A- Le contrat la loi des parties.
 
    RES inter alios acta nuque nocere nequeprodesse protest. Cet adage pose le principe selon lequel la chose convenue entre les uns ne nuit ni ne profite aux autres. Ainsi parle-t-on de l’effet relatif des contrats. A l’image des normes régissant les relations contractuelles de droit de commun, celles qui régissent les relations contractuelles en Droit Administratif consacrent le contrat comme la loi des parties. C’est pour cela que les parties même dans l’exercice de leurs attributs doivent rester dans l’esprit du contrat.
    Il faut a priori noter que la nature de partie à un contrat peut être diversifiée, raison pour laquelle il importe de faire des éclaircis sur la qualité des personnes contractuelles. Ainsi peuvent être également partie à un contrat administratif une personne publique et une personne privée : TC 03Mars1969 Ste interlait.[1] Peuvent être aussi partie à un contrat administratif, deux (02) personnes publiques. En effet un contrat conclu entre deux (02) personnes publiques revêt en principe un caractère administratif ; cette formule est celle qui fut retenue par l’arrêt : TC, 21Mars 1983 UAP[2]. Point de rencontre entre deux (02) gestions publiques, ces contrats ont un caractère administratif sauf s’il fait naitre entre les parties des relations de droit privé. Peuvent également être parties à un contrat administratif deux (02) personnes privées, lorsque ces dernières agissent dans le cadre de représentation d’une personne publique ou lorsqu’elles sont munies de mandat. Il est admis que si une personne privée est détentrice d’un mandat explicite d’une personne publique, les contrats qu’elle conclut avec d’autres personnes privées sont des contrats administratifs : CE30 Mai 1975 Sté d’équipement de la région Montpelliéraine[3] et  CE21 Mars 2007, commune de Boulogne-Billancourt[4].
    La qualité de partie ayant été clarifiée, il convient de rebondir sur la question même de l’effet relatif du contrat. Corollaire du principe de l’autonomie de la volonté, le principe de l’effet relatif des contrats, stipule que le contrat ne peut nuire ni profiter à autrui. Si les parties peuvent se lier elles-mêmes par l’accord de volonté, elles ne peuvent lier ceux qui sont étrangers à cet accord de volonté. Le contrat crée donc une sphère d’activités juridiques qui ne saurait être étendues aux tiers pour les rendre créanciers ou débiteurs. Ainsi dit-on que le contrat est un acte juridique pour les parties, alors qu’il reste un fait juridique pour les tiers.
    En conséquence, les parties; même lorsqu’elles saisissent le juge administratif pour que ce dernier tranche un litige, doivent toujours considérer leur contrat comme une loi,  ceci cautionne donc leur recours à certaines  conditions. Il faut noter que le recours de pleine juridiction ou de plein contentieux est le recours par excellence qui confine l’action des parties en contentieux contractuel administratif. Ainsi, les parties peuvent faire un recours en plein contentieux contestant la validité du contrat les liant. Cependant, pour  qu’une partie au contrat saisisse le juge administratif à l’appui d’un recours de pleine juridiction, il faut que deux conditions soient réunies. En effet, il faut l’existence d’une clause irrégulière dans le contrat et que cette clause irrégulière ait un caractère déterminent.
    Il faut retenir ici, que la clause irrégulière s’entend comme toute stipulation contractuelle illicite qui entache la validité du contrat. Il s’agit donc de clause rendant impossible l’exécution du contrat, il convient de rappeler que l’irrégularité de la clause doit être prouvé par le requérant et le juge vérifie son irrégularité. La seconde condition est liée au caractère déterminent de la clause irrégulière. Il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités d’en apprécier l’importance et les conséquences de ces irrégularités après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont celles qu’elles peuvent eu égard de l’exigence de loyauté des relations invoquée devant lui : CE 28 DEC 2009 BEZIERS. En l’espèce, le Conseil d’État souligne que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution d’un contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci eu égard à l’exigence de loyauté de faire application du contrat. Sont considérés comme irrégularités graves ou déterminent les vices de consentement ou encore des vices d’incompétence et à titre exceptionnel certaines violations des règles de passation des contrats : CE 12 janvier 2011 Manoukian[5].  Dans son arrêt :CE 1er octobre 2013, le juge avait affirmé qu’un contrat qui autorise une personne privée à disposer de droits réels sur le domaine public d’une commune avant l’entrée en vigueur de la loi de 1988 est illicite. L’irrégularité et la gravité ayant été apprécié le juge rend sa décision ; décision qui a une portée variable.




B- L’office du juge administratif en contentieux contractuel.

   Pour des raisons impérieuses de l’intérêt général, on assiste à un élargissement de l’office du juge administratif. En effet, le juge administratif dispose désormais d’un éventail de mesures : résiliation, annulation totale ou partielle, poursuite des relations contractuelles avec éventuellement certaines modifications et une modulation dans le temps de l’exécution de sa décision, beaucoup mieux adapté à l’intérêt général, que le couperet de la nullité. Ainsi selon les cas, le juge administratif est juge du contrat de l’annulation et la validité du contrat, juge de l’excès de pouvoir, juge des référés, juge de la passation et de l’exécution des contrats de commande publique. L’arrêt : CE 28decembre 2009 Bézier I, élargit et précise cette conception réaliste et opérationnelle de l’office du juge.
En effet, lorsqu’il est saisi par les parties, le juge prend en compte la nature des irrégularités que celles-ci invoquent.  Le juge après avoir pris en considération la nature de l’irrégularité commise en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles. Les soucis de préserver la stabilité contractuelle a conduit le conseil d’État à estimer qu’une loi ne peut s’appliquer à un procès en cours que si elle l’a expressément prévu ou que si elle peut être interprétée comme l’autorisant implicitement : cet Ass, 08 Avril 2009 commune d’olivet, également CE 10 Novembre 2010 commune de Palavas-les- flots[6]. Le juge peut soit décider que la poursuite du contrat reste possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, soit de prononcer le cas échéant, avec un effet différé après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général , la résiliation du contrat ; CE 28decembre 2009 :  le contrat sera écarté d’office si besoin « dans le cas seulement ou il constate une irrégularité  invoquée par une partie ou soulevée d’office par lui tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité tenant notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ». Le juge doit écarter le contrat et ne régler le litige sur le terrain contractuel, le contrat est simplement écarté et le juge ne sanctionne pas clairement le contrat. Le juge pouvait également rendre une décision en indemnisation. Par ailleurs avec la décision du CE 21 mars 2011Bézier le juge peut  après un plein contentieux, faire droit à une demande de reprise de relations contractuelles «  il incombe au juge du contrat saisi par une partie d’un recours en plein contentieux contestant la validité d’une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu’il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou son bienfondé, de déterminer s’il y a lieu de faire de droit dans la mesure où elle n’est pas sans objet à la demande de reprise contractuelle à compter d’une date fixe ou de rejeter le recours en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir au profit du requérant un droit à indemnité ». De ce point de vue, soit le juge fait droit à la demande de reprise contractuelle soit la rejette. Dans l’hypothèse où il fait droit à la demande de reprise contractuelle annule donc la décision de résiliation.
    Ces arrêts qui concernent le recours de plein contentieux des parties, sont un aboutissement et non une rupture par rapport à la jurisprudence antérieure. Désormais, la liberté de décision et d’appréciation est laissée au juge.
    Le juge administratif est aussi, un juge de la concurrence. l’article L.551-1 du code de justice administrative, dispose que le juge administratif peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics et de délégations de service public. Le juge administratif  a donc pour compétence pour apprécier la légalité d’un acte contractuel au regard des règles de concurrence fixées par l’ordonnance du 1er Decembre1986 : CE 03novembre 1997 Sté million et Marais ; cet arrêt a été présenté comme scellant la réconciliation du droit de la concurrence et du droit administratif. Le juge administratif est désormais  chargé de s’assurer que les actes de dévolution de l’exécution du service public respectent non seulement le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, mais aussi les règles posées par l’ordonnance de 1986. Il est aussi conduit à contrôler les règles de concurrence en matière de concession des travaux : CE, 20 mai 1998 communauté des communes du Piémont-de-Barr.
    Si le  contentieux contractuel administratif, pendant longtemps est resté le propre des parties, aujourd’hui il est ouvert aux tiers.











II- L’IMMIXTION DES TIERS DANS LE DIALOGUE DU JUGE ET DES PARTIES



    Le contentieux contractuel administratif, est resté pendant longtemps un dialogue exclusivement entre le juge et les parties ; cependant aujourd’hui on assiste à une infiltration des tiers dans ce dialogue entre juge et parties. Cette infiltration des tiers dans ce dialogue fut a priori limitée(A), mais elle s’est progressivement élargie(B).
    
A- Une immixtion a priori strictement limitée.


    Le contrat conçu comme la loi des parties, suppose que les tiers ne puissent s’en prévaloir. Par ailleurs via des évolutions jurisprudentielles, il est admis que les tiers puissent saisir le juge administratif pour contester un contrat auquel ils ne sont pas partis, mais ce droit dans un premier temps ne pouvait s’exercer qu’avec des contours bien défini. Dans un premier temps les tiers ne pouvaient saisir le juge qu’à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir. Ce recours pour excès de pouvoir reste interdit lorsqu’il est dirigé contre le contrat lui-même : les conclusions afin d’annulation dirigées contre les stipulations contractuelles qui n’ont pas un caractère règlementaire sont irrecevables : CE 14 Mars 1997 compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne[7]. Ce recours pouvant être exercé par les tiers doit nécessairement être dirigé contre les actes détachables ou contre les clauses règlementaires. Conforment à la jurisprudence Martin du 04 aout 1905, les tiers entendu ici comme contribuable, usager de service public, membre d’une assemblée délibérante, ne peuvent contester que les actes extérieurs aux dispositions contractuelle : les actes détachables. Il faut noter que les effets de l’annulation de l’acte détachable sont limités et n’entrainent pas nécessairement la disparition du contrat.
    Aussi fut-il admis des recours pour excès de pouvoir formés par les tiers contre les clauses règlementaire des contrats administratif. Rompant avec une jurisprudence bien établie, le Conseil d’État admet que les dispositions d’un contrat administratif qui ont un caractère réglementaire peuvent être contestées devant le juge de l’excès de pouvoir : CE 10 Juillet 1996 Cayzeele. C’est une reforme capitale dans le droit administratif, qui a le mérite de prendre acte, d’une part de l’insuffisance de garanties pour la légalité lorsque l’initiative contentieuse est laissée aux seules parties au contrat, car le partenaire de l’administration a peu d’intérêt a mécontenter  celle-ci en l’appelant devant le juge et préfère une entente amiable, d’autre part des effets sur les tiers, usagers des services publics, auxquels l’accès au prétoire doit être favorisé. On note également l’admission du recours pour excès de pouvoir exercé par les tiers contre l’ensemble des clauses du contrat. En effet l’arrêt ville de Lisieux en date du 30 octobre 1998 en est une illustration. En effet dans cet arrêt le conseil d’État décide que les contrats par lesquels une personne publique procède au recrutement d’agents non titulaires sont au nombre des actes dont l’annulation peut être demandée au juge administratif par un tiers.
    Une catégorisation de la notion de tiers a permis d’élargir un peu les voies de recours laissées aux tiers au plein contentieux.  La jurisprudence a admis ce droit aux tiers ayant qualité de concurrents évincés dans la conclusion du contrat litigieux. En effet le conseil d’État dans le souci d’améliorer le contrôle de la mise en concurrence, a ouvert aux concurrents évincés de la conclusion d’un contrat administratif  un recours de pleine juridiction contre le contrat : CE16 juill2007, Sté Topic signalisation : la formulation de cette jurisprudence est la suivante : tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former  devant le juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaine de ces clauses qui en sont divisibles assorti le cas échéant de demandes indemnitaires. Le conseil d’État vient préciser qu’en vue d’obtenir réparation de ses droits lésés «  le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou annulation du contrat. Toujours en plein contentieux le conseil d’État a considéré que compte tenu de la supériorité de la valeur technique de son offre, une société évincée de la conclusion d’un marché public avait droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner en résultant pour elle : CE 08 février 2010 commune de rochelle ; CE 04mai2011 CCI de Nîmes ; Uzès, Bagnols le vignan ; ce recours doit être exercé dans un délai de déterminé. En effet le délai de recours est de deux mois à compter de l’entrée en vigueur du contrat. Cependant la jurisprudence a étendu ce droit de recours.


B- Une immixtion élargi.

    L’élargissement des droits des tiers en contentieux contractuel en droit administratif, se remarque d’abord en plein contentieux, ensuite dans le cadre des produits de référés. Par un arrêt Département de Tarn-et- Garonne du 4 avril 2014  le Conseil d'Etat ouvre à tous les tiers justifiant d'un intérêt lésé par un contrat administratif la possibilité de contester sa validité devant le juge du contrat. Cependant, ceux-ci ne pourront se plaindre que des illégalités particulièrement graves ou en rapport direct avec leur intérêt lésé. Cette décision met fin à une jurisprudence réservant cette voie de recours aux parties au contrat et aux concurrents évincés lors de La passation2. Cette jurisprudence n'étant pas rétroactive, la nouvelle voie de recours ouverte ne pourra être exercée par les tiers, qui n'en bénéficiaient pas auparavant que contre les contrats signés à compter de la date de cette décision. Pour les contrats signés avant cette date, l'ancienne voie de recours contre les actes « détachables » leur reste ouverte.
En vertu de la jurisprudence Martin3, les tiers ne pouvaient contester que les actes administratifs dits « détachables » du contrat. L'arrêt Département de Tarn-et- Garonne, en ouvrant par principe le recours direct contre le contrat aux tiers, met fin à cette jurisprudence datant du début du XXème siècle. S'inscrivant ainsi dans la continuité naturelle de l'arrêt fondateur Tropic Travaux Signalisations qui avait ouvert l'accès au juge du contrat aux tiers concurrents évincés/ ce revirement de jurisprudence majeur marque le point d'orgue de décennies de controverse doctrinale portant sur la problématique de l'accès des tiers au contentieux de pleine juridiction en matière contractuelle.
Identifié par le rapporteur public Dacosta dans ses conclusions, le point névralgique de la controverse pouvait se résumer en une question: comment conserver « l'équilibre entre les stabilité des relations contractuelles et droit au juge, tout en réduisant la durée de la période d'insécurité juridique, pour les parties, qui s'attache à l'existence des voies de recours? ».
Sa réponse, limpide, fut celle adoptée par le Conseil d'Etat: « il s'agit de déplacer l'intégralité du débat contentieux devant le juge du contrat, quel que soit le tiers concerné, de telle sorte qu'aucune autre voie contentieuse ne puisse prospérer une fois le contrat signé ».
         L'arrêt Département de Tarn-et-Garonne en ouvrant le recours direct contre le contrat à tous les tiers susceptibles d'être lésés, dans leurs intérêts, par sa passation ou ses clauses, et ce, y compris en faisant valoir, devant le juge du contrat, l'illégalité des actes « détachables » du contrat.
 Rebattait ainsi les cartes du contentieux des contrats administratif, le Conseil d'Etat limite le recours pour excès de pouvoir à deux hypothèses: à 'égard du contrat de droit privé et pour e préfet.
Cependant, en contrepartie de l'ouverture du contentieux de pleine juridiction aux tiers, le Conseil d’État met en place un encadrement strict. Pour pouvoir saisir le juge du contrat, les tiers doivent justifier que leurs intérêts sont susceptibles d'être lésés de manière suffisamment directe et certaine.
 Sur le fond, ils ne peuvent se plaindre que des vices du contrat en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou de ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.
Reprenant ainsi les conditions de la jurisprudence SMIR-GEOMES applicable aux référés pré-contractuels et contractuels, la recevabilité des tiers à contester les contrats se trouve éminemment restreinte. Cette jurisprudence  constitue une source d’unification du contentieux contractuel en Droit Administratif. L'arrêt Département de Tarn-et-Garonne va dans le sens d'une simplification du droit positif en permettant l'élimination de nombreuses complications liées à l'éclatement du contentieux des contrats administratifs, lui-même source d'insécurité juridique.
Manquant à la fois de lisibilité et d'intelligibilité pour le citoyen et 'administré, autant que d'efficacité pour le contrôle de la légalité, certains litiges contractuels pouvaient nécessiter l'intervention de trois juges différents. On peut par ailleurs noter que la décision du Conseil d’État se place dans la droite ligne de la jurisprudence
Commune de Béziers9, en ce qu'elle circonscrit de manière précise le périmètre des situations pouvant justifier l'annulation du contrat : « si (ce dernier) a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou d tout autre vice d'une particulière gravité.
     Si, selon D. Casas, les tiers pouvaient déjà « porter le fer au cœur du contrat et exiger jusqu'à son anéantissement », l'ouverture du contentieux de pleine juridiction contractuel à tous les tiers lésés constitue un tournant indéniable du droit des contrats administratifs. Cependant, et contrairement aux apparences, cette avancée ne vise pas tant à ouvrir de manière massive le recours direct contre le contrat, qu'à unifier et rationaliser le contentieux des contrats administratifs.
Dans les faits, les restrictions d'action des tiers sont telles que des contrat illégaux pourraient échapper à toute censure en raison du fait que les requérants potentiels ne se verraient pas reconnaître d'intérêt à agir ou que les illégalités commises ne seront pas de
Celles qu’ils peuvent invoquer13.
Dès lors, « si l'accès au juge n'est plus verrouillé, la sécurité contractuelle
Prévaut largement sur sa légalité »
          Il existe aussi des procédures d’urgence dans lesquelles les tiers ont des droits de saisine du juge administratif : il s’agit des référés pré-contractuels et des référés contractuels. Ceci est justifié par le désir de garantir le respect du principe de légalité, notamment de la liberté d’accès à la commande publique, de l’égalité de traitement des candidats et de la transparence des procédures de commande publique.
    La voie du référé pré-contractuel est ouverte aux tiers pour permettre de prévenir l’inobservation des règles de la commande publique. En effet lorsque le juge des référé est saisi il doit vérifier s’il s’agit de manquements qui eut égard à leur porté et au stade de procédure auquel ils se rapportent, sont susceptible le tiers qui s’en prévaut léser, fut ce de façon indirecte. Le juge du référé pré-contractuel doit être saisi avant la conclusion du contrat et le juge statut dans un délai de 20 jours. La procédure de passation est suspendue une fois se recours enclenché. Une fois le contrat conclu, la voie ouverte aux tiers est celle du référé contractuel. En effet les tiers peuvent saisir le juge dans le cadre d’un référé contractuel sauf si le tiers en question a déjà fait recours du référé pré-contractuel. Au nombre de ces tiers on note les personnes ayant un intérêt à conclure le contrat, et même le préfet. Lorsqu’un avis d’attribution d’un contrat a été publié, le juge peut être saisi jusqu’au trente et huitième jour suivant cette publication. En l’absence de publication, ce délai est porté à six mois à compter du jour de la conclusion du contrat. Au regard de tout de ce qui précède il est évident que le contentieux contractuel en droit administratif n’est plus la question aux seules parties et juge. Les tiers ne sont plus des spectateurs.



[1] 3 mars 1969, Société interprofessionnelle du lait et de ses dérivés Interlait. n° 01926 Le Tribunal des conflits apporte une limite à la jurisprudence Peyrot (TC 8 juillet 1963 Peyrot n °01804) et maintient le principe selon lequel un contrat conclu entre deux personnes privées ne peut être qualifié de contrat administratif même si l'un des deux cocontractants est chargé d'une mission de service public. Le Tribunal retient qu'une société de droit privé intervenant en matière de régularisation de prix exerce une mission de service public, mais que, toutefois, elle se livre librement à des opérations commerciales soumises aux règles de droit privé. Par suite, les litiges opposant cette société à ses clients ou à ses fournisseurs relèvent de la compétence du juge judiciaire. Le Tribunal des conflits distingue donc les missions appartenant par nature à l'Etat comme la construction des routes, dans l'hypothèse de l'arrêt Peyrot, et les activités étatiques nouvelles de caractère économique et social.

[2] 21 mars 1983, Union des Assurances de Paris. n° 02256
Le Tribunal des conflits rappelle qu'un contrat administratif conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif et que seule la juridiction administrative est compétente pour connaître des litiges relatifs à son exécution. Toutefois, une telle présomption peut être renversée au regard de l'objet du contrat, lorsque celui-ci ne fait naître entre les cocontractants que des rapports de droit privé
[3]

17-03-02-03-02,17-03-02-06-02, 39-01-02-01 Marché passé entre une société d'économie mixte d'aménagement et un entrepreneur ayant pour objet exclusif la construction de voies publiques à l'intérieur d'une zone à urbaniser par priorité dont la société était concessionnaire. Pour l'exécution de ce marché, la société recevait notamment les subventions attribuées aux collectivités locales pour la construction des voies publiques ; elle devait remettre les voies et ouvrages construits dès leur achèvement et au plus tard à la réception définitive de chaque ouvrage, et les collectivités publiques lui étaient substituées "de plein droit pour toute action en responsabilité découlant de l'application des articles 1792 et 2270 du code civil". Ainsi, pour la construction de ces voies, la société agissait non pas pour son propre compte, ni en sa qualité de concessionnaire, mais pour le compte des collectivités publiques auxquelles les voies devaient être remises : caractère administratif du contrat litigieux. 54-05-05-02, 54-08-01-06 Appel formé contre un jugement avant-dire-droit ayant ordonné une expertise. Jugement rendu au vu de l'expertise devenu définitif faute d'avoir été frappé d'appel. Non-lieu sur les conclusions dirigées contre le jugement avant-dire-droit
[4]

L'arrêt du Conseil d'Etat du 21 mars 2007, « Commune de Boulogne-Billancourt », arrêt de principe, est intéressant en ce qu'il traite de la nature des contrats conclus entre deux personnes privées dont l'objet est relatif à l'exécution d'une mission de service public, et pose pour la première fois un principe novateur en reconnaissant la théorie de la transparence d'une personne privée.
En l'espèce, une société s'était vue confier, par contrat conclu avec l'association pour la gestion de la patinoire et de la piscine de la commune de Boulogne-Billancourt, la charge d'une mission de contrôle et de sécurité. Cette dernière ayant fait l'objet d'une procédure collective de faillite, l'entreprise s'était retournée contre la commune de Boulogne- Billancourt pour obtenir le paiement de factures impayées. Le tribunal administratif de Paris a condamné la commune à verser à l'entreprise une somme d'environ 240 000 F. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 20 avril 2005 de la cour administrative d'appel de Paris. La commune forme alors un pourvoi en cassation contre cette décision.
Le Conseil d'Etat a en l'espèce dû se prononcer sur la nature des contrats passés entre deux personnes privées dont l'objet concerne l'exécution d'un service public. Autrement dit, un contrat passé entre deux personnes privées et dont l'objet est relatif à l'exécution du service public peut-il revêtir un caractère administratif ?
Le Conseil d'Etat, dans son arrêt rendu le 21 mars 2007, « Commune de Boulogne- Billancourt » répond par l'affirmative en posant un principe novateur, la théorie de la transparence d'une personne privée. Le Conseil d'Etat reconnaît ainsi le caractère administratif d'un contrat conclu entre une personne privée transparente et une autre personne privée dont l'objet concerne l'exécution du service public (I), en se fondant sur la transparence comme palliatif au critère organique il laisse la place à une évolution possible de la théorie de la transparence en matière contractuelle (II).
[...] En reconnaissant le caractère administratif du contrat, le Conseil d'Etat utilise la transparence comme palliatif au critère organique, une pratique qui pourrait se généraliser. II] Le fondement de la transparence comme palliatif au critère organique et les évolutions possibles de la théorie de la transparence en matière contractuelle

[5] Le Conseil d'État a  précisé qu'un manquement aux règles de passation du contrat ne peut, en principe, être invoqué aux fins d'écarter l'application du contrat dans un litige relatif à son exécution. Il en va toutefois différemment lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat (CE, 12 janvier 2011, M., n° 338551, Rec. ; même jour, Société des autoroutes du nord et de l'est de la France, n° 332126, T.). Ainsi, ni l'inapplication par l'une des parties des dispositions du code des marchés publics ou de prescriptions de droit communautaire de contenu équivalent, ni la méconnaissance du principe d'égalité entre les candidats au cours de la consultation n'ont été regardées, au regard des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, comme d'une particulière gravité qui aurait justifié d'écarter le contrat (mêmes décisions).
En revanche, le Conseil d'État a jugé que revêtaient un caractère illicite, justifiant que le juge du contrat en écarte l'application même d'office, les stipulations d'un contrat méconnaissant le principe d'inaliénabilité du domaine public (CE, 4 mai 2011, Communauté de communes du Queyras, n° 340089, Rec.).
Le Conseil d'État a poursuivi le renouveau de l'office du juge saisi de litiges relatifs à des contrats administratifs, qu'il avait initié avec son arrêt du 16 juillet 2007, Tropic travaux signalisation (n° 291543, Rec.). Et sa décision SMIRGEOMES du 3 octobre 2008 (Section, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l'élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe), par laquelle il avait jugé que des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence n'entraînaient le prononcé de mesures par le juge du référé précontractuel que s'ils étaient susceptibles d'avoir lésé le requérant
[6] Conseil d'État, 10 novembre 2010, n° 340944,
Marchés publics > Sources des marchés publics > Jurisprudence
 Les dispositions de l'article L. 551 -14 du code de justice administra pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par i évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel <i dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché p manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de code des marchés publics http://www.leaifrance.aouv.fr/affichJuriAdmin.do? oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000023038969&fastReqld=16671:
Un candidat ignorant le rejet de son offre du fait du non-respect des dispositions de l'article 80 du CMP par France Agrimer, peut être recevable à former un référé contractuel alors qu'il a saisi à l'origine le juge des référés précontractuels.

Les dispositions de l'article L. 551 -14 du code de justice administrative, qui prévoient que le recours contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 (délai de stand still) et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de l'article 80 du code des marchés publics qui prévoit l'obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres et fixe un délai minimum de seize jours, réduit à onze jours dans le cas d'une transmission électronique, entre cette notification et la conclusion du marché

[7] en ce qui concerne les conclusions des demandes tendant à ce que le contrat passé entre l’Entente interdépartementale du Bocage Normand et la COMPAGNIE D’AMENAGEMENT DES COTEAUX DE GASCOGNE soit déclaré nul et de nul effet : Considérant que ces conclusions à fin d’annulation qui sont dirigées contre des stipulations contractuelles qui n’ont pas un caractère réglementaire sont irrecevables ;


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

DISCOURS DE SOUTENANCE

Les génèse et applications de la théorie de la séparation des pouvoirs

LA VINDICTE POPULAIRE : ENTRE JUSTICE ET VENGEANCE