Contrat administratif: vous avez dit : le juge, les parties et les tiers ?
Les actes administratifs unilatéraux,
constituent le moyen d’action par excellence de l’administration, du moins de
la personne publique. Toutefois cette dernière c’est-à-dire la personne
publique, peut également agir par la voie contractuelle. Ainsi parle-t-on de contrat
administratif ; contrat conclu par une personne publique dans le cadre de
l’exécution d’une mission de service publique, et comportant à cet effet les
clauses exorbitantes de droit commun, le contrat administratif lors de sa
conclusion ou de son exécution, peut faire naitre un litige, ce qui entraine un
contentieux contractuel administratif. La présente réflexion s’inscrit dans ce
cadre. Elle se rapporte aux acteurs du contentieux contractuel administratif,
en l’occurrence le juge, les parties, et les tiers.
En droit administratif, on entend par juge,
le magistrat investie du pouvoir de trancher les litiges à caractère administratif. Par parties, il faut entendre les personnes morales,
physiques ayant conclu un contrat administratif, il peut s’agir des
administrations entre elles ou d’une administration et une personne privée.
Quant au tiers il s’agit de toute personne qui ne figure pas dans un contrat
administratif comme partie. Ces trois acteurs figurent dans le contentieux
administratif contractuel, qui doit s’entendre comme l’ensemble des litiges
survenu dans le cadre du contrat administratif et qui conduisent à la
compétence du juge administratif.
Il convient de noter que le contentieux de
l’opération contractuelle en Droit Administratif est complexe. Plein
contentieux à la base, il le demeure en principe ; mais il s’est peu à peu
rapproché de l’excès de pouvoir dans la mesure où de nombreuses clauses de
contrats administratifs s’apparentent de par leur généralité et leur
impersonnalité à des règlements. En conséquence, le droit de recours s’est élargi
et diversifié. Recours par excellence en contentieux contractuel administratif,
le recours de pleine juridiction pendant longtemps pouvait s’engager que par
les parties au contrat, cependant aujourd’hui, avec les évolutions
jurisprudentielles, il reste ouvert aussi aux parties et aux tiers au contrat.
Quant au recours d’excès de pouvoir, il n’est admis que lorsqu’il est dirigé
contre les actes détachables et les actes règlementaires. La consolidation du
régime du contentieux contractuel a conduit à l’élargissement des voies de recours avec l’instauration des
référés pré-contractuel et des référés contractuel, qui permettent au juge de
statuer illico presto sur des questions liées à l’inobservation de certaines
règles de formation du contrat. Aussi doit-on mettre en exergue le développement
considérable de l’office du juge.
La thématique a le mérite de mettre en
exergue les attributs des acteurs susmentionnés en contentieux contractuel
administratif.
Il est donc opportun de réfléchir sur la
problématique de l’actualité du régime du contentieux contractuel
administratif ; autrement quelle est l’actualité des règles régissant le
contentieux contractuel ?
S’il est admis une immixtion
du tiers en matière de contentieux contractuel aujourd’hui(II), il n’en demeure
pas moins évident que le contentieux contractuel soit un dialogue entre le juge
et les parties(I)
I)
LE CONTENTIEUX CONTRACTUEL : un
dialogue entre le juge et les parties
Le contentieux
contractuel demeure essentiellement, un dialogue entre le juge et les parties
en ce sens que nonobstant le développement de l’office du juge(A), le contrat
administratif reste la loi des parties(B)
RES inter alios
acta nuque nocere nequeprodesse protest. Cet adage pose le principe selon
lequel la chose convenue entre les uns ne nuit ni ne profite aux autres. Ainsi parle-t-on
de l’effet relatif des contrats. A l’image des normes régissant les relations
contractuelles de droit de commun, celles qui régissent les relations
contractuelles en Droit Administratif consacrent le contrat comme la loi des
parties. C’est pour cela que les parties même dans l’exercice de leurs
attributs doivent rester dans l’esprit du contrat.
Il faut a priori
noter que la nature de partie à un contrat peut être diversifiée, raison pour
laquelle il importe de faire des éclaircis sur la qualité des personnes
contractuelles. Ainsi peuvent être également partie à un contrat administratif
une personne publique et une personne privée : TC 03Mars1969 Ste interlait.[1]
Peuvent être aussi partie à un contrat administratif, deux (02) personnes publiques. En
effet un contrat conclu entre deux (02) personnes publiques revêt en principe un
caractère administratif ; cette formule est celle qui fut retenue par l’arrêt :
TC, 21Mars 1983 UAP[2].
Point de rencontre entre deux (02) gestions publiques, ces contrats ont un caractère
administratif sauf s’il fait naitre entre les parties des relations de droit
privé. Peuvent également être parties à un contrat administratif deux (02) personnes
privées, lorsque ces dernières agissent dans le cadre de représentation d’une
personne publique ou lorsqu’elles sont munies de mandat. Il est admis que si
une personne privée est détentrice d’un mandat explicite d’une personne
publique, les contrats qu’elle conclut avec d’autres personnes privées sont des
contrats administratifs : CE30 Mai
1975 Sté d’équipement de la région Montpelliéraine[3]
et CE21 Mars 2007, commune de Boulogne-Billancourt[4].
La qualité de
partie ayant été clarifiée, il convient de rebondir sur la question même de
l’effet relatif du contrat. Corollaire du principe de l’autonomie de la
volonté, le principe de l’effet relatif des contrats, stipule que le contrat ne
peut nuire ni profiter à autrui. Si les parties peuvent se lier elles-mêmes par
l’accord de volonté, elles ne peuvent lier ceux qui sont étrangers à cet accord
de volonté. Le contrat crée donc une sphère d’activités juridiques qui ne
saurait être étendues aux tiers pour les rendre créanciers ou débiteurs. Ainsi
dit-on que le contrat est un acte juridique pour les parties, alors qu’il reste
un fait juridique pour les tiers.
En conséquence, les
parties; même lorsqu’elles saisissent le juge administratif pour que ce dernier
tranche un litige, doivent toujours considérer leur contrat comme une
loi, ceci cautionne donc leur recours à
certaines conditions. Il faut noter que
le recours de pleine juridiction ou de plein contentieux est le recours par
excellence qui confine l’action des parties en contentieux contractuel
administratif. Ainsi, les parties
peuvent faire un recours en plein contentieux contestant la validité du contrat
les liant. Cependant, pour qu’une partie
au contrat saisisse le juge administratif à l’appui d’un recours de pleine
juridiction, il faut que deux conditions soient réunies. En effet, il faut
l’existence d’une clause irrégulière dans le contrat et que cette clause
irrégulière ait un caractère déterminent.
Il faut retenir
ici, que la clause irrégulière s’entend comme toute stipulation contractuelle
illicite qui entache la validité du contrat. Il s’agit donc de clause rendant
impossible l’exécution du contrat, il convient de rappeler que l’irrégularité
de la clause doit être prouvé par le requérant et le juge vérifie son
irrégularité. La seconde condition est liée au caractère déterminent de la
clause irrégulière. Il appartient au juge, lorsqu’il constate l’existence
d’irrégularités d’en apprécier l’importance et les conséquences de ces irrégularités
après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont
celles qu’elles peuvent eu égard de l’exigence de loyauté des relations invoquée devant lui : CE 28 DEC 2009 BEZIERS. En l’espèce, le
Conseil d’État souligne que lorsque les parties soumettent au juge un litige
relatif à l’exécution d’un contrat qui les lie, il incombe en principe à
celui-ci eu égard à l’exigence de loyauté de faire application du contrat. Sont
considérés comme irrégularités graves ou déterminent les vices de consentement
ou encore des vices d’incompétence et à titre exceptionnel certaines violations
des règles de passation des contrats : CE 12 janvier 2011 Manoukian[5]. Dans son arrêt :CE 1er
octobre 2013, le juge avait affirmé qu’un contrat qui autorise une personne
privée à disposer de droits réels sur le domaine public d’une commune avant
l’entrée en vigueur de la loi de 1988 est illicite. L’irrégularité et la
gravité ayant été apprécié le juge rend sa décision ; décision qui a une
portée variable.
B- L’office du juge administratif en
contentieux contractuel.
Pour des raisons
impérieuses de l’intérêt général, on assiste à un élargissement de l’office du
juge administratif. En effet, le juge administratif dispose désormais d’un éventail
de mesures : résiliation, annulation totale ou partielle, poursuite des
relations contractuelles avec éventuellement certaines modifications et une
modulation dans le temps de l’exécution de sa décision, beaucoup mieux adapté à
l’intérêt général, que le couperet de la nullité. Ainsi selon les cas,
le juge administratif est juge du contrat de l’annulation et la validité
du contrat, juge de l’excès de pouvoir, juge des référés, juge de la passation
et de l’exécution des contrats de commande publique. L’arrêt : CE 28decembre 2009 Bézier I, élargit et
précise cette conception réaliste et opérationnelle de l’office du juge.
En effet, lorsqu’il est saisi par les parties, le juge prend
en compte la nature des irrégularités que celles-ci invoquent. Le juge après avoir pris en considération la
nature de l’irrégularité commise en tenant compte de l’objectif de stabilité
des relations contractuelles. Les soucis de préserver la stabilité
contractuelle a conduit le conseil d’État à estimer qu’une loi ne peut
s’appliquer à un procès en cours que si elle l’a expressément prévu ou que si
elle peut être interprétée comme l’autorisant implicitement : cet Ass, 08 Avril 2009 commune d’olivet,
également CE 10 Novembre 2010 commune de
Palavas-les- flots[6].
Le juge peut soit décider que la poursuite du contrat reste possible,
éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, soit de prononcer le
cas échéant, avec un effet différé après avoir vérifié que sa décision ne
portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général , la résiliation du
contrat ; CE 28decembre 2009 : le contrat sera écarté d’office si besoin
« dans le cas seulement ou il
constate une irrégularité invoquée par
une partie ou soulevée d’office par lui tenant au caractère illicite du contenu
du contrat ou à un vice d’une particulière gravité tenant notamment aux
conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ». Le
juge doit écarter le contrat et ne régler le litige sur le terrain
contractuel, le contrat est simplement écarté et le juge ne sanctionne pas
clairement le contrat. Le juge pouvait également rendre une décision en
indemnisation. Par ailleurs avec la décision du CE 21 mars 2011Bézier le juge peut
après un plein contentieux, faire droit à une demande de reprise de
relations contractuelles « il
incombe au juge du contrat saisi par une partie d’un recours en plein
contentieux contestant la validité d’une mesure de résiliation et tendant à la
reprise des relations contractuelles, lorsqu’il constate que cette mesure est
entachée de vices relatifs à sa régularité ou son bienfondé, de déterminer s’il
y a lieu de faire de droit dans la mesure où elle n’est pas sans objet à la
demande de reprise contractuelle à compter d’une date fixe ou de rejeter le
recours en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir
au profit du requérant un droit à indemnité ». De ce point de vue,
soit le juge fait droit à la demande de reprise contractuelle soit la rejette.
Dans l’hypothèse où il fait droit à la demande de reprise contractuelle annule
donc la décision de résiliation.
Ces arrêts qui
concernent le recours de plein contentieux des parties, sont un aboutissement
et non une rupture par rapport à la jurisprudence antérieure. Désormais, la
liberté de décision et d’appréciation est laissée au juge.
Le juge
administratif est aussi, un juge de la concurrence. l’article L.551-1 du code
de justice administrative, dispose que le juge administratif peut être saisi en
cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence
auxquelles est soumise la passation des marchés publics et de délégations de
service public. Le juge administratif a
donc pour compétence pour apprécier la légalité d’un acte contractuel au regard
des règles de concurrence fixées par l’ordonnance du 1er
Decembre1986 : CE 03novembre 1997 Sté
million et Marais ; cet arrêt a été présenté comme scellant la réconciliation
du droit de la concurrence et du droit administratif. Le juge administratif est
désormais chargé de s’assurer que les
actes de dévolution de l’exécution du service public respectent non seulement
le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, mais aussi les règles
posées par l’ordonnance de 1986. Il est aussi conduit à contrôler les règles de
concurrence en matière de concession des travaux : CE, 20 mai 1998 communauté des communes du Piémont-de-Barr.
Si le contentieux contractuel administratif,
pendant longtemps est resté le propre des parties, aujourd’hui il est ouvert
aux tiers.
II- L’IMMIXTION DES
TIERS DANS LE DIALOGUE DU JUGE ET DES PARTIES
Le contentieux
contractuel administratif, est resté pendant longtemps un dialogue
exclusivement entre le juge et les parties ; cependant aujourd’hui on
assiste à une infiltration des tiers dans ce dialogue entre juge et parties.
Cette infiltration des tiers dans ce dialogue fut a priori limitée(A), mais
elle s’est progressivement élargie(B).
A- Une immixtion a priori strictement limitée.
Le contrat conçu
comme la loi des parties, suppose que les tiers ne puissent s’en prévaloir. Par
ailleurs via des évolutions jurisprudentielles, il est admis que les tiers
puissent saisir le juge administratif pour contester un contrat auquel ils ne
sont pas partis, mais ce droit dans un premier temps ne pouvait s’exercer
qu’avec des contours bien défini. Dans un premier temps les tiers ne pouvaient
saisir le juge qu’à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir. Ce recours pour
excès de pouvoir reste interdit lorsqu’il est dirigé contre le contrat
lui-même : les conclusions afin
d’annulation dirigées contre les stipulations contractuelles qui n’ont pas un
caractère règlementaire sont irrecevables : CE 14 Mars 1997 compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne[7].
Ce recours pouvant être exercé par les tiers doit nécessairement être dirigé
contre les actes détachables ou contre les clauses règlementaires. Conforment à
la jurisprudence Martin du 04 aout 1905, les tiers entendu ici comme
contribuable, usager de service public, membre d’une assemblée délibérante, ne
peuvent contester que les actes extérieurs aux dispositions
contractuelle : les actes détachables. Il faut noter que les effets de
l’annulation de l’acte détachable sont limités et n’entrainent pas
nécessairement la disparition du contrat.
Aussi fut-il admis
des recours pour excès de pouvoir formés par les tiers contre les clauses règlementaire
des contrats administratif. Rompant avec une jurisprudence bien établie, le
Conseil d’État admet que les dispositions d’un contrat administratif qui ont un
caractère réglementaire peuvent être contestées devant le juge de l’excès de
pouvoir : CE 10 Juillet 1996
Cayzeele. C’est une reforme capitale dans le droit administratif, qui a le mérite
de prendre acte, d’une part de l’insuffisance de garanties pour la légalité
lorsque l’initiative contentieuse est laissée aux seules parties au contrat,
car le partenaire de l’administration a peu d’intérêt a mécontenter celle-ci en l’appelant devant le juge et préfère
une entente amiable, d’autre part des effets sur les tiers, usagers des
services publics, auxquels l’accès au prétoire doit être favorisé. On note
également l’admission du recours pour excès de pouvoir exercé par les tiers
contre l’ensemble des clauses du contrat. En effet l’arrêt ville de Lisieux en
date du 30 octobre 1998 en est une
illustration. En effet dans cet arrêt le conseil d’État décide que les contrats
par lesquels une personne publique procède au recrutement d’agents non
titulaires sont au nombre des actes dont l’annulation peut être demandée au
juge administratif par un tiers.
Une catégorisation
de la notion de tiers a permis d’élargir un peu les voies de recours laissées
aux tiers au plein contentieux. La
jurisprudence a admis ce droit aux tiers ayant qualité de concurrents évincés
dans la conclusion du contrat litigieux. En effet le conseil d’État dans le
souci d’améliorer le contrôle de la mise en concurrence, a ouvert aux
concurrents évincés de la conclusion d’un contrat administratif un recours de pleine juridiction contre le
contrat : CE16 juill2007, Sté Topic
signalisation : la formulation de cette jurisprudence est la
suivante : tout concurrent évincé de
la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former devant le juge un recours de pleine
juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaine de ces clauses
qui en sont divisibles assorti le cas échéant de demandes indemnitaires. Le
conseil d’État vient préciser qu’en vue d’obtenir réparation de ses droits
lésés « le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter
devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou
complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou annulation du contrat.
Toujours en plein contentieux le conseil d’État a considéré que compte tenu de
la supériorité de la valeur technique de son offre, une société évincée de la
conclusion d’un marché public avait droit à l’indemnisation de l’intégralité du
manque à gagner en résultant pour elle : CE 08 février 2010 commune de rochelle ; CE 04mai2011 CCI de
Nîmes ; Uzès, Bagnols le vignan ; ce recours doit être exercé
dans un délai de déterminé. En effet le délai de recours est de deux mois à
compter de l’entrée en vigueur du contrat. Cependant la jurisprudence a étendu
ce droit de recours.
B- Une immixtion élargi.
L’élargissement des droits des tiers en contentieux contractuel en droit
administratif, se remarque d’abord en plein contentieux, ensuite dans le cadre
des produits de référés. Par un arrêt Département de Tarn-et- Garonne du 4
avril 2014 le Conseil d'Etat ouvre à tous les tiers justifiant d'un
intérêt lésé par un contrat administratif la possibilité de contester sa
validité devant le juge du contrat. Cependant, ceux-ci ne pourront se plaindre
que des illégalités particulièrement graves ou en rapport direct avec leur
intérêt lésé. Cette décision met fin à une jurisprudence réservant cette voie
de recours aux parties au contrat et aux concurrents évincés lors
de La passation2. Cette jurisprudence n'étant pas rétroactive, la nouvelle voie de recours
ouverte ne pourra être exercée par les tiers, qui n'en bénéficiaient pas
auparavant que contre les contrats signés à compter de la date de cette
décision. Pour les contrats signés avant cette date, l'ancienne voie de recours
contre les actes « détachables » leur reste ouverte.
En vertu de
la jurisprudence Martin3, les tiers ne pouvaient contester que les
actes administratifs dits « détachables » du contrat. L'arrêt Département de
Tarn-et- Garonne, en ouvrant par principe le recours direct contre le contrat
aux tiers, met fin à cette jurisprudence datant du début du XXème siècle. S'inscrivant ainsi dans la continuité
naturelle de l'arrêt fondateur Tropic Travaux
Signalisations qui avait ouvert l'accès au juge du contrat aux tiers
concurrents évincés/ ce revirement de jurisprudence majeur marque le
point d'orgue de décennies de controverse doctrinale portant sur la
problématique de l'accès des tiers au contentieux de pleine juridiction en
matière contractuelle.
Identifié par
le rapporteur public Dacosta dans ses conclusions, le point névralgique de la
controverse pouvait se résumer en une question: comment conserver « l'équilibre
entre les stabilité des relations contractuelles et droit au juge, tout en
réduisant la durée de la période d'insécurité juridique, pour les parties, qui
s'attache à l'existence des voies de recours? ».
Sa réponse,
limpide, fut celle adoptée par le Conseil d'Etat: « il s'agit de déplacer
l'intégralité du débat contentieux devant le juge du contrat, quel que soit le
tiers concerné, de telle sorte qu'aucune autre voie contentieuse ne puisse
prospérer une fois le contrat signé ».
L'arrêt
Département de Tarn-et-Garonne en ouvrant le recours direct contre le contrat à
tous les tiers susceptibles d'être lésés, dans leurs intérêts, par sa passation
ou ses clauses, et ce, y compris en faisant valoir, devant le juge du contrat,
l'illégalité des actes « détachables » du contrat.
Rebattait ainsi les cartes du contentieux des
contrats administratif, le Conseil d'Etat limite le recours pour excès de
pouvoir à deux hypothèses: à 'égard du contrat de droit privé et pour e préfet.
Cependant, en
contrepartie de l'ouverture du contentieux de pleine juridiction aux tiers, le
Conseil d’État met en place un encadrement strict. Pour pouvoir saisir le juge
du contrat, les tiers doivent justifier que leurs intérêts sont susceptibles
d'être lésés de manière suffisamment directe et certaine.
Sur le fond, ils ne peuvent se plaindre que
des vices du contrat en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se
prévalent ou de ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever
d'office.
Reprenant
ainsi les conditions de la jurisprudence SMIR-GEOMES applicable aux référés pré-contractuels et contractuels,
la recevabilité des tiers à contester les contrats se trouve éminemment
restreinte. Cette jurisprudence
constitue une source d’unification du contentieux contractuel en Droit
Administratif. L'arrêt Département de Tarn-et-Garonne va dans le sens d'une
simplification du droit positif en permettant l'élimination de nombreuses
complications liées à l'éclatement du contentieux des contrats administratifs,
lui-même source d'insécurité juridique.
Manquant à la
fois de lisibilité et d'intelligibilité pour le citoyen et 'administré, autant
que d'efficacité pour le contrôle de la légalité, certains litiges contractuels
pouvaient nécessiter l'intervention de trois juges différents. On peut par
ailleurs noter que la décision du Conseil d’État se place dans la droite ligne
de la jurisprudence
Commune de
Béziers9, en ce qu'elle circonscrit de manière précise le périmètre
des situations pouvant justifier l'annulation du contrat : « si (ce dernier) a
un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou d
tout autre vice d'une particulière gravité.
Si, selon D. Casas, les tiers pouvaient
déjà « porter le fer au cœur du contrat et exiger jusqu'à son anéantissement »,
l'ouverture du contentieux de pleine juridiction contractuel à tous les tiers
lésés constitue un tournant indéniable du droit des contrats administratifs. Cependant,
et contrairement aux apparences, cette avancée ne vise pas tant à ouvrir de
manière massive le recours direct contre le contrat, qu'à unifier et
rationaliser le contentieux des contrats administratifs.
Dans les
faits, les restrictions d'action des tiers sont telles que des contrat illégaux
pourraient échapper à toute censure en raison du fait que les requérants
potentiels ne se verraient pas reconnaître d'intérêt à agir ou que les
illégalités commises ne seront pas de
Celles qu’ils
peuvent invoquer13.
Dès lors, «
si l'accès au juge n'est plus verrouillé, la sécurité contractuelle
Prévaut
largement sur sa légalité »
Il existe aussi des
procédures d’urgence dans lesquelles les tiers ont des droits de saisine du
juge administratif : il s’agit des référés pré-contractuels et des référés
contractuels. Ceci est justifié par le désir de garantir le respect du principe
de légalité, notamment de la liberté d’accès à la commande publique, de l’égalité
de traitement des candidats et de la transparence des procédures de commande
publique.
La voie du référé pré-contractuel est ouverte aux tiers pour permettre de
prévenir l’inobservation des règles de la commande publique. En effet lorsque
le juge des référé est saisi il doit vérifier s’il s’agit de manquements qui eut
égard à leur porté et au stade de procédure auquel ils se rapportent, sont
susceptible le tiers qui s’en prévaut léser, fut ce de façon indirecte. Le juge
du référé pré-contractuel doit être saisi avant la conclusion du contrat et le
juge statut dans un délai de 20 jours. La procédure de passation est suspendue
une fois se recours enclenché. Une fois le contrat conclu, la voie ouverte aux
tiers est celle du référé contractuel. En effet les tiers peuvent saisir le
juge dans le cadre d’un référé contractuel sauf si le tiers en question a déjà
fait recours du référé pré-contractuel. Au nombre de ces tiers on note les personnes
ayant un intérêt à conclure le contrat, et même le préfet. Lorsqu’un avis
d’attribution d’un contrat a été publié, le juge peut être saisi jusqu’au
trente et huitième jour suivant cette publication. En l’absence de publication,
ce délai est porté à six mois à compter du jour de la conclusion du contrat. Au
regard de tout de ce qui précède il est évident que le contentieux contractuel
en droit administratif n’est plus la question aux seules parties et juge. Les tiers ne sont plus des spectateurs.
[1] 3 mars 1969, Société
interprofessionnelle du lait et de ses dérivés Interlait. n° 01926 Le
Tribunal des conflits apporte une limite à la jurisprudence Peyrot (TC 8
juillet 1963 Peyrot n °01804) et maintient le principe selon lequel un contrat
conclu entre deux personnes privées ne peut être qualifié de contrat
administratif même si l'un des deux cocontractants est chargé d'une mission de
service public. Le Tribunal retient qu'une société de droit privé intervenant
en matière de régularisation de prix exerce une mission de service public, mais
que, toutefois, elle se livre librement à des opérations commerciales soumises
aux règles de droit privé. Par suite, les litiges opposant cette société à ses
clients ou à ses fournisseurs relèvent de la compétence du juge judiciaire. Le
Tribunal des conflits distingue donc les missions appartenant par nature à
l'Etat comme la construction des routes, dans l'hypothèse de l'arrêt Peyrot, et
les activités étatiques nouvelles de caractère économique et social.
[2] 21 mars 1983, Union des Assurances
de Paris. n° 02256
Le
Tribunal des conflits rappelle qu'un contrat administratif conclu entre deux
personnes publiques revêt en principe un caractère administratif et que seule
la juridiction administrative est compétente pour connaître des litiges
relatifs à son exécution. Toutefois, une telle présomption peut être renversée
au regard de l'objet du contrat, lorsque celui-ci ne fait naître entre les
cocontractants que des rapports de droit privé
17-03-02-03-02,17-03-02-06-02,
39-01-02-01 Marché passé entre une société d'économie mixte d'aménagement et un
entrepreneur ayant pour objet exclusif la construction de voies publiques à
l'intérieur d'une zone à urbaniser par priorité dont la société était
concessionnaire. Pour l'exécution de ce marché, la société recevait notamment
les subventions attribuées aux collectivités locales pour la construction des
voies publiques ; elle devait remettre les voies et ouvrages construits dès
leur achèvement et au plus tard à la réception définitive de chaque ouvrage, et
les collectivités publiques lui étaient substituées "de plein droit pour
toute action en responsabilité découlant de l'application des articles 1792 et
2270 du code civil". Ainsi, pour la construction de ces voies, la société
agissait non pas pour son propre compte, ni en sa qualité de concessionnaire,
mais pour le compte des collectivités publiques auxquelles les voies devaient
être remises : caractère administratif du contrat litigieux. 54-05-05-02,
54-08-01-06 Appel formé contre un jugement avant-dire-droit ayant ordonné une
expertise. Jugement rendu au vu de l'expertise devenu définitif faute d'avoir
été frappé d'appel. Non-lieu sur les conclusions dirigées contre le jugement
avant-dire-droit
L'arrêt
du Conseil d'Etat du 21 mars 2007, « Commune de Boulogne-Billancourt », arrêt
de principe, est intéressant en ce qu'il traite de la nature des contrats
conclus entre deux personnes privées dont l'objet est relatif à l'exécution
d'une mission de service public, et pose pour la première fois un principe
novateur en reconnaissant la théorie de la transparence d'une personne privée.
En
l'espèce, une société s'était vue confier, par contrat conclu avec
l'association pour la gestion de la patinoire et de la piscine de la commune de
Boulogne-Billancourt, la charge d'une mission de contrôle et de sécurité. Cette
dernière ayant fait l'objet d'une procédure collective de faillite,
l'entreprise s'était retournée contre la commune de Boulogne- Billancourt pour
obtenir le paiement de factures impayées. Le tribunal administratif de Paris a
condamné la commune à verser à l'entreprise une somme d'environ 240 000 F. Ce
jugement a été confirmé par un arrêt du 20 avril 2005 de la cour administrative
d'appel de Paris. La commune forme alors un pourvoi en cassation contre cette
décision.
Le
Conseil d'Etat a en l'espèce dû se prononcer sur la nature des contrats passés
entre deux personnes privées dont l'objet concerne l'exécution d'un service
public. Autrement dit, un contrat passé entre deux personnes privées et dont
l'objet est relatif à l'exécution du service public peut-il revêtir un
caractère administratif ?
Le
Conseil d'Etat, dans son arrêt rendu le 21 mars 2007, « Commune de Boulogne-
Billancourt » répond par l'affirmative en posant un principe novateur, la
théorie de la transparence d'une personne privée. Le Conseil d'Etat reconnaît
ainsi le caractère administratif d'un contrat conclu entre une personne privée
transparente et une autre personne privée dont l'objet concerne l'exécution du
service public (I), en se fondant sur la transparence comme palliatif au
critère organique il laisse la place à une évolution possible de la théorie de
la transparence en matière contractuelle (II).
[...] En
reconnaissant le caractère administratif du contrat, le Conseil d'Etat utilise
la transparence comme palliatif au critère organique, une pratique qui pourrait
se généraliser. II] Le fondement de la transparence comme palliatif au critère
organique et les évolutions possibles de la théorie de la transparence en
matière contractuelle
[5] Le Conseil d'État a précisé qu'un manquement aux règles de
passation du contrat ne peut, en principe, être invoqué aux fins d'écarter
l'application du contrat dans un litige relatif à son exécution. Il en va
toutefois différemment lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de
l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été
commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat (CE, 12
janvier 2011, M., n° 338551, Rec. ; même jour, Société des autoroutes du
nord et de l'est de la France, n° 332126, T.). Ainsi, ni l'inapplication
par l'une des parties des dispositions du code des marchés publics ou de
prescriptions de droit communautaire de contenu équivalent, ni la
méconnaissance du principe d'égalité entre les candidats au cours de la
consultation n'ont été regardées, au regard des circonstances dans lesquelles
elles ont été commises, comme d'une particulière gravité qui aurait justifié
d'écarter le contrat (mêmes décisions).
En
revanche, le Conseil d'État a jugé que revêtaient un caractère illicite,
justifiant que le juge du contrat en écarte l'application même d'office, les
stipulations d'un contrat méconnaissant le principe d'inaliénabilité du domaine
public (CE, 4 mai 2011, Communauté de communes du Queyras, n° 340089,
Rec.).
Le
Conseil d'État a poursuivi le renouveau de l'office du juge saisi de litiges
relatifs à des contrats administratifs, qu'il avait initié avec son arrêt du 16
juillet 2007, Tropic travaux signalisation (n° 291543, Rec.). Et sa décision
SMIRGEOMES du 3 octobre 2008 (Section, Syndicat mixte intercommunal de
réalisation et de gestion pour l'élimination des ordures ménagères du secteur
Est de la Sarthe), par laquelle il avait jugé que des manquements aux
obligations de publicité et de mise en concurrence n'entraînaient le prononcé
de mesures par le juge du référé précontractuel que s'ils étaient susceptibles
d'avoir lésé le requérant
[6] Conseil d'État, 10 novembre 2010, n°
340944,
Marchés
publics > Sources
des marchés publics > Jurisprudence
Les dispositions de l'article L. 551 -14 du
code de justice administra pour effet de rendre irrecevable un recours
contractuel introduit par i évincé qui avait antérieurement présenté un recours
précontractuel <i dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature
du marché p manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de
code des marchés publics http://www.leaifrance.aouv.fr/affichJuriAdmin.do?
oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000023038969&fastReqld=16671:
Un
candidat ignorant le rejet de son offre du fait du non-respect des dispositions
de l'article 80 du CMP par France Agrimer, peut être recevable à former un
référé contractuel alors qu'il a saisi à l'origine le juge des référés
précontractuels.
Les
dispositions de l'article L. 551 -14 du code de justice administrative, qui
prévoient que le recours contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait
usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté
la suspension prévue à l'article L. 551-4 (délai de stand still) et s'est
conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n'ont pas pour
effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent
évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu'il
était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par
suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions de
l'article 80 du code des marchés publics qui prévoit l'obligation de notifier
aux candidats le rejet de leurs offres et fixe un délai minimum de seize jours,
réduit à onze jours dans le cas d'une transmission électronique, entre cette
notification et la conclusion du marché
[7] en ce qui
concerne les conclusions des demandes tendant à ce que le contrat passé entre
l’Entente interdépartementale du Bocage Normand et la COMPAGNIE D’AMENAGEMENT
DES COTEAUX DE GASCOGNE soit déclaré nul et de nul effet : Considérant que ces
conclusions à fin d’annulation qui sont dirigées contre des stipulations
contractuelles qui n’ont pas un caractère réglementaire sont irrecevables ;
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