LA LIBERTE DE MANIFESTER AU TOGO
Marche de
protestation, revendication pacifique avec banderole et /ou pancarte, montrant des messages que l’on voudrait faire passer à qui de droit, sont entre
autre des manifestations de pratiques démocratiques. Ainsi, il va de soi que
cette liberté soit reconnue et protégée dans un État démocratique.
Il n’est donc guère surprenant que dans un
pays comme le Togo, le pouvoir constituant de la constitution de 1992
érige le droit de manifester en un droit fondamental donc protégé par la
constitution. En réalité, la constitution togolaise de la IV[1]république
en son article 30 dispose que «l’État
reconnait et garantit dans les conditions fixées par la loi, l’exercice des
libertés d’association, de réunion et de manifestation pacifique et sans
instrument de violence ».
La ‘’loi
Bodjona’’[2]adoptée
le 13 mai 2011 par l’Assemblée nationale, relative à
la règlementation du droit de manifester est venue combler le vide juridique qui existait en la matière avant son adoption. Dans un texte de 26 articles, cette loi fixe les conditions
d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation pacifiques publiques au
Togo.
Mais force est de constater que malgré la présence
de ces textes régissant l’exercice de cette liberté, on ne jouit pas toujours
du droit de manifester sans grabuge au
Togo. L’on dénote très souvent un gouffre entre ces textes et la pratique. La
toute dernière illustration de cette réalité est la marche initiée par le Parti
National Panafricain (PNP) le 19 août 2017 sur la terre de nos aïeux, le Togo,
n’est que la preuve de cette situation. Cet énième cas n’est donc que la confirmation
d’une ‘’pratique’’ longtemps établie par les autorités togolaises(les manifestations mortellement réprimées
de Mango, les répressions sanglantes des protestations des étudiants de
l’université de Lomé[3]).
L’on assiste à cet effet à des interdictions répétées de manifester donnant
lieux à des affrontements qui débouchent parfois sur des pertes en vies
humaines. Le citoyen togolais, les partis politiques, les groupes organisés,
les associations ne maitrisent-ils pas les règles d’exercice de leur droit de
manifestation ? Ou est-ce les autorités qui constituent une pierre
d’achoppement à l’effectivité de ce droit au Togo ?
Les textes
sont clairs quant à l’exercice du droit de manifester et toute personne et/ou
groupes de personnes désireuse (eux) de l’exercer doit (doivent) se conformer
aux conditions préalables, énumérées dans lesdits textes. Mais l’inexistence ou
l’ineffectivité de certaines institutions met en mal ce droit de manifestation.
Il convient donc de s’interroger sur le cadre
d’exercice du droit de manifester au Togo (I), et sur ce qui constitue le réel
handicap à son libre exercice(II).
I- L’encadrement du droit de manifester au Togo : quid des textes ?
Au Togo, le droit de manifester énoncé par la constitution
est librement exercé (A) sous réserve
des limites (B), explicitées par la loi dite ‘’Bodjona’’[4].
A- L’exercice du droit de manifester au Togo
L’impératif d’une déclaration préalable et le
respect des délais établis sont les conditions à remplir pour qu’un citoyen togolais
puisse exercer librement son droit de manifester.
La nécessité d’une déclaration préalable aux autorités compétentes
« Les réunions et les manifestations sur la
voie publique sont libres au Togo sous réserve du respect de la loi
»[5].
C’est donc à juste titre qu’un togolais
ou un groupe de citoyens togolais[6] peut
décider d’exprimer son (leur) émoi au travers d’une manifestation. Mais pour pouvoir
exercer son droit de manifester, il faut une déclaration préalable car « toute réunion ou manifestation
pacifique sur la voie publique ou dans les lieux publics est soumise à une
déclaration préalable adressée :
Au
ministre de l’administration territorial pour les réunions ou manifestations à
caractère nationale ou de portée internationale ;
Au gouverneur ou préfet territorialement
compétent dans les autres cas ;
Au
maire de la commune concernée »[7].
Le droit de manifester est donc subordonné à un
régime d’information ou de déclaration aux autorités susmentionnées. Il n’est
pas superflu de préciser que le droit de manifester n’est conditionné à aucune
autorisation d’une autorité administrative mais à une simple information de la part des organisateurs de la manifestation.
La déclaration préalable écrite[8]
déposée sur la table de l’autorité compétente doit indiquer l’identité des
trois organisateurs principaux des manifestations, leur qualité, leur domicile,
le lieu ou l’itinéraire[9],
le jour, l’heure et le but de la manifestation ; des précisions qui se
retrouvent à l’article 10 de la loi règlementant les manifestations au Togo. Il
va de soi que tous les candidats désireux d’exercer ce droit constitutionnel se
conforment à ces exigences sans oublier le respect des délais d’action.
Le respect des délais d’action
Suite au dépôt de la déclaration préalable, qui doit
être faite au moins cinq jours ouvrables et aux heures de service avant la
manifestation[10],
l’autorité saisie dispose de 72 h
ouvrable pour opposer éventuellement son refus à la tenue de la réunion ou de
la manifestation[11].
Mais si dans les 72 h ouvrables (précèdent le début de la manifestation),
l’autorité compétente garde le silence et n’émet aucune objection, l’on considère
qu’il n’y pas d’accroc. Par conséquent, la manifestation qui peut avoir lieu en
toute liberté.
L’autorité qui reçoit la déclaration préalable et
décide d’émettre des recommandations ou observations à l’endroit des
organisateurs peut le faire dans un délai de 72 h avant la date prévue pour la
manifestation. Elle (l’autorité) peut formuler les recommandations ou
observations sur l’itinéraire, la sécurité, et les secours d’urgence : article 12. La loi précise à l’article 17 l’intervalle d’heure
pendant lesquelles peuvent se tenir une manifestation : « les réunions ou les manifestations
pacifiques sur la voie publique et dans les lieux publics ne peuvent se
tenir avant six (06) et au‐delà
de vingt-deux (22) heures ».
Même si tous ces paramètres sont respectés, la loi octroie à l’autorité administrative eu
égard à certaines circonstances de restreindre le droit de manifester du
citoyen.
B- Les limites au droit de manifester au Togo
La liberté de manifester reste soumise à un
encadrement précis et des interdictions
peuvent être motivées par les circonstances. Au Togo plusieurs interdictions de
manifester ont été prises au cours de ces dernières années.
L’article 13 alinéa 3 dispose que « A l’issu de ces constatations, l’autorité
administrative compétente peut, par décision motivée ; soit
différer la manifestation; soit l’interdire, s’il y a des risques sérieux de troubles à
l’ordre public» et L’article 16 de la loi de Mai 2011 dispose que « Nonobstant
l’absence d’objection de l’autorité administrative compétente, lorsque des
éléments nouveaux objectifs surviennent, et sont de nature à troubler gravement
l’ordre public, l’autorité administrative compétente peut différer ou interdire
la réunion ou la manifestation par décision motivée. », sur la base de
ces deux articles, pour prendre un arrêté d’interdiction, il faut donc que la
décision d’interdiction en question soit justifiée formellement par l’existence
d’un risque sérieux de troubles à l’ordre public. Cet élément (trouble à
l’ordre public) est l’arme fatale que détient l’autorité togolaise pour
maintenir dans une camisole de force tout(e) candidat(e) à une quelconque
manifestation susceptible d’ébranler son ‘’fauteuil de confort’’.
Sans aller jusqu’à interdire la manifestation,
l’autorité administrative dispose de certains moyens pour assurer son meilleur
déroulement. Ainsi, elle peut non seulement modifier l’itinéraire prévu mais
elle peut exiger une vérification dans ces recommandations comme le signifie
l’article 13 de la loi règlementant les manifestations.
Au vu de ces articles ci-dessus énumérés, le constat
est clair que le Togo dispose de texte réglementant le droit de manifester car
vu les tensions auxquelles donnent l’exercice de cette liberté, certains en
viennent à douter de son effectivité. Qu’est-ce qui entrave donc le bon exercice
de ce droit fondamental au Togo ?
II- Les handicaps au libre exercice du droit de manifester au Togo
Le droit de manifester éprouve un véritable mal à
s’exercer en toute liberté du fait de la quasi inexistence du juge administratif
(A) et du sésame de l’indiscernable ordre public (B)
A- L’inexistence d’un véritable juge administratif
Le juge administratif est celui compétent à
connaitre d’un recours contre une décision d’interdiction de manifester prise
par l’autorité administrative, l’article 23 dispose « Les décisions de l’autorité administrative compétentes sont
susceptibles de recours pour excès de pouvoir. En cas de saisine, le juge
administratif compétent statue dans un délai de 48h par décision exécutoire sur
minute ». La loi n’est donc pas muette[12]
sur les voies de recours, mais au vu des soupçons de partialité, de sympathies
avec les tenants du ‘’fauteuil ‘et de sa lenteur légendaire, le juge administratif
n’inspire pas confiance. L’on peut désormais comprendre le choix des
manifestants d’outrepasser la décision d’interdiction pour exercer leur liberté
de manifester.
Il est donc impératif et urgent que les juridictions
administratives de proximité soient crées puis opérationnelles car ce sont
toujours les chambres administratives des cours d’appel qui sont compétentes ( article 24 : la chambre
administrative de la cour suprême est compétente pour connaitre des cas de
recours pour excès de pouvoir, prévu dans la présente loi en attendant
l’opérationnalité des juridictions administratives de proximité). Sur tout l’étendue du territoire Togolais, on ne compte jusqu’à ce jour que
deux chambres administratifs de premier degré ce qui est bien peu pour une
population de sept (07) millions d’habitant installée sur 56.600 km2.
Pour les manifestations se déroulant entre Cinkassé et Blitta, par exemple ;
les organisateurs devront pour exercer leur droit de recours, se rendre à
Kara (lieu où se situe la cour d’appel territorialement compétente dans cette
partie du Togo) et partant de Blitta à Lomé, le recours doit être exercé à Lomé
(dans la préfecture d’Agoé).
B- Le sésame de l’indiscernable ordre public
L’ordre public est une notion très vaste. Le doyen
Maurice Hauriou dans son Précis de droit administratif le définissait comme un
« ordre matériel et extérieur », le législateur français dans la loi
du 05 avril 1884 a énuméré les composantes de l’ordre public à savoir : la
sûreté, la sécurité et la salubrité. Aujourd’hui, l’on parle plus de sécurité
publique, tranquillité publique et de salubrité publique. Mais à ce triptyque traditionnel sont venus
s’ajouter les notions moins matérielles : la moralité publique (avec la
condition d’une existence des circonstances locales) avec le fameux arrêt du
Conseil d’État Société « des Films Lutétia » en date du 18 décembre
1959 et le respect de la dignité humaine
avec l’arrêt du Conseil d’État « Commune de Morsang-sur-Orge » du 27
octobre 1995.
Au Togo, dans le cadre des manifestations publiques, c’est
l’aspect sécurité publique qui est relevé. Malheureusement, il n’existe aucun
instrument pour mesurer –le degré- du risque que pourrait engendrer une réunion
ou manifestation pour la sécurité publique. L’autorité administrative (maire,
ministre de l’administration territoriale) a donc champ libre pour apprécier
souverainement l’existence d’un risque sérieux de troubles à l’ordre public.
Cette largesse peut tristement servir de base (légale ?) aux interdictions
répétées et aux répressions parfois sanglantes. Qu’à cela ne tienne, il
convient de rappeler que les autorités togolaises doivent garantir la sécurité
des manifestants et prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher un
usage disproportionné de la force par les forces de sécurité même en cas d’une
manifestation rendue illégale par son interdiction.
© Gloria ANANI,
Auditrice en master droit fondamental public
[1] Adoptée
par référendum le 27 septembre 1992, promulguée le 14 octobre 1992 et révisée
par la loi no 2002-029 du 31 décembre 2002
[2] ‘’Loi Bodjona’’
nom en référence au ministre de la
décentralisation et des collectivités territorial Pascal Bodjona initiateur de
la dite loi
[3] Pour ne
citer que ceux là
[4]
Promulguée le 13 mai 2011 par l’assemblée national sans la participation de
certains partis politiques de l’opposition (l’ANC, le CAR)
[5] Article
2 de la loi du 13 mai 2011
[6] Article 6
de la loi du 13 mai 2011
[7] Article
9 de la même loi
[8] Doit
être impérativement écrite
[9] Qui pose
souvent problème au Togo
[10] Article
11 de la loi du 13 mai 2011
[11] Article
14de la même loi
[12] Article
24 donne aussi des précisions sur le juge compétent
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