Le droit, un nouvel objet politique et philosophique au service de la démocratie ?




                                                     INTRODUCTION

« Le dernier degré de corruption pour un mot, c’est de pouvoir servir à tout le monde, et celui de démocratie en sera bientôt là, je le crains. M. Ford, attache beaucoup de prix à ce pseudonyme, M. Staline y tient également… »[1] Si cet extrait témoigne du fait que la démocratie est un de ces mots qui chantent plus qu’ils ne parlent et aux noms desquels beaucoup de crimes ont été commis, il n’en demeure pas moins que la démocratie prise dans ses acceptions littérale[2] et libérale[3] est, depuis les deux guerres mondiales, l’objet de la plupart des discussions politiques comme philosophiques.
Au cœur de toute démocratie pure[4], se trouve le souci de la protection des droits et libertés fondamentaux. Ce souci de protection remonte au moins au XIIIème siècle avec la Charte de Mandé dans l’Empire du Mali et la Magna Carta[5] en Grande-Bretagne.
Après la Grande Charte, la Grande Bretagne a connu une révolution à l’issue de laquelle fut proclamée une seconde Charte des droits[6] qui non seulement garantie de nouveaux droits au Parlement mais aussi et surtout étend les libertés individuelles. Cependant, aussi riches et importes soient-elles, ces chartes ont été visiblement éclipsées par la splendeur des révolutions américaine et française du XVIIIème siècle. Ces deux révolutions ont accouché respectivement de la Déclaration d’indépendance de 1776 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyens de 1789. Si la première consacre le droit de chacun à la recherche du bonheur en consacrant particulièrement l’exercice du droit naturel suprême de se gouverner soi-même, la seconde, sacralise les êtres humains[7] et les déclare égaux devant la loi puis, consacre la propriété privée[8].
Force est de constater que la solennité de tous ces textes précités n’a pas pu empêcher l’éclatement des deux guerres avec leur lot de malheurs, de désolations, de pertes en vies humaines etc. Face à cette barbarie[9], l’indignation dans le camp des vainqueurs comme chez les vaincus eut été à son comble. Jamais la conscience publique collective n’a été autant éprouvée. Aussi tous avaient-ils senti la nécessité de protéger les hommes, leurs droits.
Les droits sont ainsi devenus en quelque sorte, le nouvel objet politique et philosophique et cela se traduit par la multiplication des textes juridiques ayant pour but de consacrer des droits et des libertés fondamentaux (I) puis la multiplication des juridictions pour s’assurer du respect de ces textes (II).

I-                   LA MULTIPLICATION DES TEXTES DE PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS FONDAMENTAUX.

Ces textes sont transnationaux (A) ou nationaux (B) 

A-    Les textes transnationaux.

Il s’agit de textes internationaux et régionaux.
Bien qu’adoptée au nom des « peuples des Nations-Unies », la Charte de San Francisco créant l’ONU n’emploie, dans aucune de ses dispositions, le terme de « démocratie ». Pour sa part, la Déclaration universelle des droits de l’Homme  du 10 décembre 1948 n’a fait qu’une référence expresse à la « société démocratique » à son article 29 § 2[10]. Il reste toutefois que cette Déclaration a jeté les bases d’une démocratie participative à travers les principes et les droits qu’elle a énoncés. Pouvant être considéré comme un schéma directeur, un code de bonne conduite, un contrat voire un Pacte, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) adoptée par l’Assemblée Nationale des Nations-Unies (AGNU) a pour objectif d’impacter positivement la politique de chaque pays-membre dans un même sens commun du mieux-être et de vivre-ensemble des peuples à travers la reconnaissance et protection des droits et libertés afin « que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression »[11]. Il convient de souligner que la DUDH en elle-même n’a pas une force obligatoire. Comme le souligne si bien sa Préambule, elle est un « idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des États membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous juridiction ».
A la DUDH, il convient, au niveau international, d’ajouter les deux Pactes Internationaux de 1966. L’un est relatif aux droits civils et politiques tandis que l’autre est relatif aux droits socioéconomiques et culturels. Outres ces textes internationaux, il existe des textes régionaux.
Il s’agit des textes relatifs aux droits et libertés pris par les organisations régionales et sous-régionales. De leur rang, se trouvent la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples adoptée en 1981, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2009, la Charte inter-américaine des Droits de l’Homme, la Convention inter-américaine des Droits de l’Homme, les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, la Charte de Paris de 1990 et le Protocole additionnel de la CEDEAO relatif à la démocratie et à la bonne gouvernance.

B-    Les textes nationaux

Il s’agit des constitutions des États. En réalité, la plupart des États membres des Nations-Unies ont inséré des textes internationaux protégeant les droits et libertés dans leurs constitutions afin de les rendre juridiquement contraignants en leur conférant une valeur constitutionnelle[12]. C’est d’ailleurs ce qui fait penser qu’aujourd’hui, la Constitution n’est qu’un ensemble formé par un Code des Institutions et une Charte des Libertés. Or à y voir de près, cette situation n’a rien de nouveau puisque déjà, le 26 août 1789, les Révolutions français affirmaient que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »[13].
       L’application de ces textes est assurée par des mécanismes juridictionnels.


II-                La multiplication des juridictions de protection des droits et libertés.

Les juridictions créées pour protéger les droits et libertés, qu'elles soient ad hoc ou permanentes ont généralement  une compétence territoriale universelle (A)  ou régionale (B).

A-    Les juridictions universelles.

Les juridictions à caractère universel qui protègent les droits et libertés sont le plus souvent pénales. Elles ont donc une mission répressive ou dissuasive. La plus célèbre est la Cour Pénale Internationale (CPI), créée par le Traité de Rome de 1998. Elle est compétente pour connaître de quatre (04) crimes : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crime de génocide et le crime d’agression depuis janvier 2017.

Les crimes de guerre

Par crimes de guerre, on désigne, les infractions graves aux conventions de Genève de 1949 qui protège les personnes et les biens ainsi que, les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux ou non internationaux.
Il peut s’agir notamment d’homicide intentionnel, de la torture, de la déportation, des traitements inhumains, de la détention illégale, de la prise d’otage, d’attaque intentionnelle contre des civils ou biens civils, du pillage, de l’enrôlement d’enfants dans les forces armées ou encore du viol.
   Au Togo, les crimes de guerre sont punis, en raison de leur gravité et de la situation personnelle de leur auteur, d’une peine de réclusion de vingt (20) à trente (30) ans et d’une amende de vingt-cinq millions (25.000.000) à cent millions (100.000.000) de francs CFA.[14]

Les crimes contre l’humanité

Les actes qui causent de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale  constituent des crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont commis  intentionnellement et dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile.
Nous pouvons citer, à titre d’exemple, la réduction à l’esclavage, la stérilisation ou grossesse forcée, la prostitution forcée, la torture, le viol, le meurtre, l’extermination…
   Au Togo, les crimes contres l’humanité sont punis, en raison de leur gravité et de la situation personnelle de leur auteur, d’une peine de réclusion de trente (30) à cinquante (50) ans et d’une amende de vingt millions (20.000.000) à cinquante millions (50.000.000) de francs CFA.[15]

Le crime de génocide

Les actes visant à détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux sont considérés comme un crime de génocide.
Aussi, pouvons-nous citer des infractions telles que les meurtres de membres d’un groupe, les mesures visant à empêcher la naissance ou à entraîner la destruction physique totale ou partielle d’un groupe, les atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres d’un groupe ou encore, le transfert forcé d’enfants d’un groupe à un autre.
   Au Togo, les infractions qualifiées de crime de génocide sont punies, en raison de leur gravité et de la situation personnelle de l’auteur, d’une peine de réclusion de trente (30) à cinquante (50) ans et d’une amende de vingt-cinq millions (25.000.000) à cent millions (100.000.000) de francs CFA.[16]

Le crime d’agression

Peuvent constituer un crime d’agression, les actes tels que l’invasion, l’occupation militaire ou l’annexion par le recours à la force et le blocus des ports ou des côtes, si par leur caractère, leur gravité et ampleur, ces actes sont considérés comme des violations manifestes de la Charte des Nations-Unies. 
Au vu de tout ce qui précède, il est aisé de remarquer que  la CPI poursuit les individus soupçonnés d’avoir commis des crimes, les plus graves, qui touchent l’ensemble de la communauté internationale.
Cependant, force est de constater que la CPI apparaît, en face des Puissants États, comme un lion édenté, dépourvu de griffes tandis qu’elle se comporte en véritable seigneur vis-à-vis des États faibles, le plus souvent africains au point où l’idée d’une refondation de la CPI pour une meilleure efficacité n’est plus une proposition de génie, visionnaire mais tout simplement une idée qui relève du bon sens.
Il convient de souligner que la CPI est, malgré les critiques à son encontre, la seule juridiction permanente  et universelle qui protège les droits  qualifiés de  « noyau dur » des droits  de l’Homme. 
 En dehors de cette juridiction permanente à caractère universelle, avaient existé des juridictions pénales ad hoc dont les plus connus sont le TPIY[17] et le TPIR[18] sans oublier les Tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo.

B-    Les juridictions régionales

Qu’on en vienne à l’inventaire, une dizaine de juridictions spécialisées dans la protection des droits de l’Homme ont vu le jour. On n’y trouve la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Cour Inter-américaine des Droits de l’Homme et la Cour Africaine des Droits de l’Homme.
Outre ces juridictions précitées qui sont spécialisées dans la protection des droits de l’Homme dès leur conception par leur géniteur, il en existe qui sont devenues protectrices des droits de l’Homme. Ce sont pour la plupart, des juridictions à vocation économique. Il s’agit notamment de la Cour de la CEDEAO, de l’instance judiciaire de l’UMA et du tribunal de SADC auxquels il convient d’ajouter la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA et la Cour Centraméricaines et Caribéenne de Justice dont les buts restent essentiellement économiques
Ces juridictions régionales et parfois sous-régionales cohabitent avec les  juridictions nationales  qui  demeurent les principaux garants des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens[19].

© Abel KLUSSEY, Juriste et Politologue

http://www.linkedin.com/in/abel-eklou-klussey

[1] BERNANOS, Français si vous saviez, 1961
[2] Formée de deux racines grecques « demos » (le peuple) et « cratos » (le pouvoir), le mot démocratie signifie littéralement « le pouvoir du peuple » ou « le peuple au pouvoir » ou, mieux encore, selon la formule employée par le président Abraham Lincoln le 19 novembre 1863 sur le champs de bataille de Gettysburg : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »
[3] Les libéraux ont tenté de concevoir la démocratie plus comme un mode de limitation que d’exercice de pouvoir.
[4] Le terme « pure » a été utilisé pour distinguer la démocratie, la vraie de la démocratie de façade qui n’est autre qu’une démocratie déloyale, une parodie de démocratie
[5] Traduit littéralement en français par la « Grande Charte». Elle a été signée en 1215.
[6] Le Bill of Rights de 1688.
[7] Voir le Préambule de la Déclaration du 26 août 1789.
[8] Voir l’article 17 de ladite Déclaration.
[9]  Il est  à noter que le nombre de victime civile dépasse le nombre de combattant.
[10] Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique.
[11] Voir le Préambule de la DUDH
[12] Voir le Préambule de la Constitution togolaise promulguée le 14 octobre 1992
[13] Voir l’article 16 de la DDHC de 1789
[14] Voir art.148 du nouveau code pénal
[15] Voir art.151 du nouveau code pénal
[16] Voir art.144 du nouveau code pénal
[17] Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
[18] Tribunal pénal international pour le Rwanda
[19] Voir art.113 de la Constitution togolaise

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