le Conseil d'Etat: des origines à nos jours




                                                 INTRODUCTION

Crée en 1799, le CE constitue la juridiction suprême de l’ordre administratif. Il exerce deux fonctions à savoir la fonction contentieuse et la fonction consultative.
Dans sa fonction consultative le CE est chargé de conseiller le gouvernement depuis les temps anciens, et s’occupe aussi du parlement depuis les récentes années. Sa fonction contentieuse se caractérise par la connaissance des pourvois formés contre les arrêts rendu par les cours Administratif d’Appel, l’examination desdits arrêts en vérifiant le respect par les autres juridictions administrative les règles applicable dans la procédure. Il est aussi chargé de statuer en premier et dernier ressort sur certains litiges qui lui sont directement soumis.
Dans tout pays, la constitution est la source essentielle de tout le droit et donc du droit administratif dont le CE en assume la responsabilité. C’est elle qui organise le système de légalité et c’est par rapport à elle que s’interprète la place respective des différentes sources de la légalité d’où la formule éclairante du doyen Vedel qui parle « des bases constitutionnelles du droit administratif ». Bien que tardivement, le contrôle de constitutionnalité a été introduit en 1958 sous une institution spécialisée qu’est le Conseil Constitutionnel. Ainsi, l’existence d’un juge Constitutionnel est un acquis récent.
Ces deux institutions ont différent domaine d’actions.
D’une part le CE est chargé du contrôle de légalité et d’autre part le Conseil Constitutionnel de l’exécution d’un contrôle de constitutionnalité des lois. Le CE comme le conseil constitutionnel est bien « une juridiction spécialisée, juge d’attribution, souverain dans l’exercice de sa compétence mais non une cour suprême polyvalente » comme le soulignait Vedel dans ‘’ la légitimité de la jurisprudence’’.
Ainsi ‘’le CE, juge constitutionnel’’ comme sujet soumis à notre réflexion s’inscrit parfaitement dans cette logique.
En effet, la saisine du Conseil Constitutionnel au tout début n’était ouverte que pour quatre autorités à savoir le Président de la République, les présidents des deux assemblées (Assemblée Nationale et le Senat) et le Premier Ministre. L’évolution fut d’abord marquée par la réforme du 29 Octobre 1974 qui autorisa 60 parlementaires à saisir le Conseil Constitutionnel et enfin de la réforme du 23 Juillet 2008 qui mis en place la question prioritaire de constitutionnalité qui est un droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantie.
Avec cette dernière réforme, le CE dans ses fonctions s’est vu confronté à des litiges impliquant une ou plusieurs normes constitutionnelles et aussi à l’élargissement de sa fonction consultative au parlement. Quelques ambiguïtés viennent à l’esprit, celles de savoir les réelles fonctions du CE ; et s’il peut intervenir dans la constitutionnalité. Bref la véritable question est de savoir si dans l’exercice de ses fonctions le CE peut intervenir dans la constitutionnalité des lois.
Ces problèmes ont suscité des points de vue différents tant de la part du conseil constitutionnel, du CE lui-même que de la part de la doctrine surtout à propos de sa fonction contentieuse.
Le CE pour sa part n’a pas attendu 1958 pour s’exclure lui-même de la fonction contentieuse surtout en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité. ‘’ En l’état du droit public français, le moyen de contrariété d’une loi constitutionnelle de 1875 n’est pas de nature à être discuté devant le CE  statuant au contentieux’’. C’est en ces termes clairs et fermes que la haute juridiction administrative s’affirma dans l’arrêt Sieur Arrighi et Dame Veuve Coudert du 6 Novembre 1936. Mais bien avant 1936, le CE avait estimé qu’il était incompétent pour contrôler la constitutionnalité de la loi en 1901 (CE, 23-05-1901) arrêt Sieur Delarue. Ainsi ce fut le cas en 1901, en 1936, en 1997 (CE, 23-05-1997 GISTI) et plus récemment en 2005 avec l’arrêt Mlle Deprez (CE, 05-01-2005). Le juge administratif dans sa fonction contentieuse s’est toujours abstenu et se reconnait incompétent pour juger de la constitutionnalité d’une loi  et donc des actes administratifs pris en application d’une loi ne peuvent être attaqués en invoquant directement son inconstitutionnalité.
Le Conseil Constitutionnel affirma « Il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier la constitutionnalité de la loi » dans une décision d’Assemblée rendue le même jour que l’arrêt Nicolo.
La doctrine quant à elle fut très mouvementée. Le président latounerie en concluant ainsi sur les arrêts Arrighi et Dame Veuve Coudert exprimait avec force le rôle que le juge administratif entendait alors être le sien dans le domaine du contrôle constitutionnel des lois étant donné qu’en 1936 cette solution n’allait pas de soi.
Raymond Carré de Malberg, Maurice Hauriou ou encore Léon Duguit avaient mené en leur temps des joutes verbales pour défendre ou condamner le contrôle de constitutionnalité des lois par le juge administratif.
En effet, Achille Mestre commentant l’arrêt Arrighi avait raison en son temps mais l’évolution du droit lui donne désormais tort. Les vérités d’antan ne sont plus celles d’aujourd’hui. De la fin du référé législatif à l’acceptation du contrôle de conventionalité de la loi, l’office du juge administratif n’est plus celui qu’il était avant.
Se refusant d’abord à devenir le « censeur de la loi » selon l’expression de Bruno Genevois, il accepta petit à petit de devenir le protecteur des droits fondamentaux.
Jérôme Tremeau a mis en lumière cette évolution historique des compétences du juge administratif face à la loi. Dans son article  « la confrontation de la loi à la constitution par le juge administratif » il montre que le juge est resté timide vis-à-vis de la loi jusqu'à à la fin des années 1980. On se rappelle très bien de la guerre des juges depuis la décision Interruption volontaire de Grossesse de 1975 (Décision 15-01-1975) à laquelle l’arrêt Jacques Vabres (Cour de cassation 24-05-1975) la même année avait répondu. Le CE perclus de remords de piétiner ainsi la séparation des pouvoirs si chère à Montesquieu finit par accepter cette compétence de contrôler fut-ce sur le fondement du droit International. L’arrêt Nicolo de 1989(CE, 20-10-1989) marqua le commencement de l’extension des prérogatives du juge. Dix ans plus tard l’arrêt  Sarran fut à son tour décisif. Cette évolution s’achève provisoirement  avec la réforme de 2008 permettant au juge administratif de filtrer les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ainsi le CE exerçant ses deux fonctions connait des balbutiements, des contestations qui ont évolué avec le temps et des acceptations. Vu tout ce qui précède et en tenant compte de l’affirmation de Roland Ricci : « IL nous semble que la jurisprudence administrative et le contexte normatif ont suffisamment évolué depuis 1936 pour que la réponse ne s’impose pas d’évidence et mérite un examen approfondi ».
Le développement de ce  thème sera structuré en deux chapitres. Dans le premier chapitre nous étudierons le Conseil d’ Etat : juge Constitutionnel accepté dans sa fonction consultative (I) et dans le second chapitre nous aborderons le Conseil d’Etat : juge constitutionnel contesté dans sa fonction contentieuse (II).





I-                    Conseil d’Etat : juge constitutionnel accepté dans sa fonction consultative

Le CE exerce dans sa fonction consultative une mission qui lui est assignée depuis sa création et une mission récente auprès du parlement. Ainsi nous étudierons d’une part la fonction de conseiller traditionnel du gouvernement (A) et d’autre part la fonction de conseiller élargi au parlement depuis la reforme de 2008 (B).

A-    La fonction de conseiller traditionnel du gouvernement
Le CE exerce auprès du gouvernement entre autre l’analyse du droit et de l’opportunité administrative. Ainsi nous étudierons l’appui apporté au gouvernement dans différents arbitrages (1) et l’aide dans la conduite des négociations(2            ).

1-      L’appui apporté au gouvernement dans différents arbitrages
Arbitrer l’action, c’est d’abord arbitrer les questions. En vertu de l’article. L.112-2 du code de justice administrative, « le CE peut être consulté par le Premier Ministre sur les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». Devant le risque d’inflation et de désordre lié à l’afflux des demandes d’avis au conseil, il est apparu nécessaire d’en rationaliser la procédure : depuis une circulaire du 24 novembre 2003, les  demandes d’avis des ministres doivent faire l’objet d’une transmission préalable au secrétariat général du gouvernement (SGG) qui peut s’y opposer.
Conformément à son rôle traditionnel, le CE est saisi des questions juridiquement complexes. Il apprécie la pertinence des textes législatifs ou règlementaires face à l’évolution des jurisprudences du conseil constitutionnel, du conseil d’Etat statuant au contentieux. Cet examen préventif de légalité confère au texte une forte crédibilité et sécurité juridique. Dans la forme, le conseil est conduit à réécrire certains projets dans une langue correcte  évitant les ambigüités, sources de contestations futures. Dans cet exercice, son rôle varie selon les ministères : moins  étoffé auprès de ceux qui sont juridiquement solides, il sera plus proche des jeunes ministères encore incertains.
L’administration cherche ici à conjurer ses peurs en  faisant valider son action pour prévenir un contentieux de légalité, indemnitaire ou pénal. Lorsqu’un ancien ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, souhaite prendre la direction d’une chaîne  de Télévision, TV5 Monde, face aux critiques du Syndicat national des journalistes, le gouvernement demande l’avis du CE par crainte d’une plainte déposée au pénal. L’article 175 du code pénal interdit en effet à tout fonctionnaire public, pendant un délai de cinq (5) ans après la cessation de ses fonctions , de recevoir des sociétés directement soumises à son contrôle une participation par travail, conseils ou capitaux . Le CE observe dans son avis du 22 mars 2005, que l’expression  « fonctionnaire public » n’ayant pas dans le texte originel de la loi 1919 le sens le plus large, l’énumération des auteurs d’une telle infraction a dû être complétée par différents textes.
Il en déduit qu’un ministre n’est pas fonctionnaire public ni un agent ou préposé d’une administration publique au sens de l’article 432-13 du code pénal, il ne peut donc relever de ce type d’infraction.
Il s’agit  parfois d’anticiper un contentieux constitutionnel. Le respect des procédures et le choix d’une temporalité conditionnent  la réussite d’un projet gouvernemental. Dans son avis du 23 Mai 2006, le CE répond à deux sollicitations. Le conseil Supérieur de l’audiovisuels peut-il abroger par décret  une autorisation d’usage de la télévision par voie hertzienne au bénéfice du déploiement de la télévision  numérique ou cela doit-il se faire par une loi ? A quelles conditions cette modification peut-elle être effectuée pour  assurer le respect des droits des éditeurs de services et des téléspectateurs ? Le gouvernement cherche en fait une réponse à deux questions connexes celle de la chronologie de sa réforme ; celle des risques financiers qu’il court en terme d’indemnisation. Sur le premier point, la réponse du CE dicte la temporalité de la réforme : puisque la loi est nécessaire, elle sera présentée au parlement à l’été 2006, le projet relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur étant adopté le 05 Mars 2007.  Les conditions d’indemnisation différent selon les bénéficiaires des précédentes autorisations : les coûts des éventuels réaménagements de fréquence peuvent être mis à la charge des éditeurs de service ; en revanche, ils ne doivent pas priver les téléspectateurs de la continuité de la réception des programmes. Le texte de loi précise donc que si le passage au tout numérique pour la télévision doit être achevé en France au 30 Novembre 2011, un fond d’aide spécifique est crée pour aider les téléspectateurs les plus modestes à acheter un nouvel équipement. Solliciter le conseil avant le dépôt du projet de loi permet au gouvernement d’obtenir des réponses précises à des questions que le juge aurait évitées en cas d’avis formel sur le projet de loi. De telles considérations tactiques évitent l’inconstitutionnalité  d’un texte.
Des questions sensibles conduisent le gouvernement à solliciter le conseil pour obtenir indirectement un appui dans l’exercice même de ses fonctions d’arbitrage.
Certains projets en raison de leurs conséquences polémiques ne peuvent que bénéficier de l’assurance juridique du conseil. La surpopulation carcérale impose la construction rapide d’établissements pénitentiaires. Mais l’Etat ne dispose pas des moyens financiers suffisants et décide de recourir à de nouveaux modes de passation des marchés publics ; les partenariats public-privé (PPP) : le bénéficiaire se voit confier la compétition, la construction, et la gestion des bâtiments pendant une durée de vingt à trente ans. Titulaire d’une convention de bail accompagnée d’une autorisation d’occupation temporaire, le candidat retenu sera propriétaire de l’Etablissement que l’Etat louera pendant deux ou trois décennies. A l’issue de cette période la puissance publique disposera d’une option d’achat pour acquérir des bâtiments construits. Les services inhérents au fonctionnement des prisons, restauration, entretien des locaux, nettoyage seront pris en charge dans le contrat global. L’avantage est énoncé : permettre la construction rapide de l’équipement public ; en diminuer les coûts en regroupant l’investissement et la maintenance ; toutefois, c’est une personne privée qui assure la construction et le fonctionnement pendant la durée du bail et la charge financière de l’investissement est reportée sur les générations futures.
Ces aspects nécessairement polémiques  surtout lorsqu’il s’agit de bâtiments qui se rattachent à l’exercice d’une fonction régalienne, méritaient un étai juridique. Le gouvernement a donc sollicité le Conseil  pour savoir si les constructions de prison sur le fondement des PPP, devaient être regardées comme entreprises pour le compte de l’Etat. La réponse positive, liée au droit de l’urbanisme et rendue dans l’avis de 6 Septembre 2005, confirme la pratique du gouvernement qui, quelques jours après la parution, le 27Juillet 2004, du décret d’application précisant les règles de passation des PPP, avait annoncé que quatre établissements pénitentiaires allaient être construits et gérés dans ce cadre.
La saisine peut répondre à la nécessité de faire arbitrer par le Conseil un dossier sur lequel deux ministères s’affrontent et de sortir ainsi d’une situation enlisée. Entre le ministère des anciens combattants favorables à la prise en compte d’une bonification pour les militaires ayant fait une campagne en Algérie et Bercy qui la refuse, une guerre de tranchée s’est installée. Après un rapport incertain de l’inspection générale des affaires sociales, le SGG tente de sortir de cet imbroglio en « laissant filer » une demande d’avais au Conseil. L’avis du 30 Novembre 2006 rappelle que la loi du 18 Octobre 1999, en qualifiant le conflit en Algérie de « guerre » a crée une situation juridique nouvelle dont le gouvernement doit tirer les conséquences, indépendamment des différentes modalités proposées dans le rapport de l’IGAS qui ne peuvent être retenues en l’état pour des raisons juridiques. Le Conseil invite donc le gouvernement « à définir les circonstances de temps et de lieu permettant d’identifier les situations de combats qui pourraient ouvrir droit au bénéfice de la campagne double ». Cet avis tempérée n’est doute pas porteur de clarification souhaitées.
Le gouvernement peut aussi se défausser sur le Conseil d’une responsabilité qu’il ne souhaite pas prendre. Lorsque la cour des comptes affiche sa volonté de contrôler les barreaux, soutenant que sa compétence s’étend aux organismes habilité à percevoir des cotisations légalement obligatoires, le ministère de la justice et le conseil national des barreaux contestent cette position en rejetant le caractère « légalement obligatoire » des cotisations fixés par la loi du 31 Décembre 1971 ; certains barreaux n’en perçoivent pas et d’autres en envisageant la suppression. Ce conflit  plus essentiel qu’il n’y parait, renvoie à la nature même des barreaux et à la garantie d’indépendance des avocats. Matignon, saisi par la cour des comptes mesurant le coût politique d’une réponse défavorable imposée au ministère de la justice, ne souhaite pas rendre directement cet arbitrage. Le SGG laisse le ministre de la justice saisir le Conseil en 2006, ce qui lui confère un double avantage : affirmer son attachement à l’indépendance des avocats ; économiser son crédit auprès du ministère de la justice. L’avis du Conseil confirme la position de la Cour des Comptes.
Le CE jouant le rôle de conseiller du gouvernement examine les projets de loi comme l’impose l’article 39 de la constitution et les projets d’ordonnance (article 38 de la constitution) avant qu’ils ne soient soumis aux conseils des ministres. Il connait également des projets de décret les plus importants, qualifiés de « décret en Conseil d’Etat ». Son avis porte sur la régularité juridique des textes leur forme et leur opportunité non politique mais administrative.
Toutefois, il peut être consulté par le gouvernement sur toute question d’ordre juridique ou administratif. Ce fut récemment le cas en Janvier 2010, le Premier Ministre saisit la haute juridiction quant à la possibilité juridique d’interdire le port du voile intégrale dans l’espace public.
Enfin, le gouvernement peut souhaiter donner du poids à une décision qui ne présente pas par ailleurs de grandes difficultés juridiques. Lorsque la question s’est posée de savoir qui de l’Etat ou des communes devait supporter les charges de reprographie au sein des écoles primaires, ce ne fut pas la complexité juridique qui arrêta le SGG, l’argument selon lequel ces charges découlaient d’initiative des enseignements dans le cadre de leur mission, étant sans incidence sur le texte de loi. L’avis du 14 Janvier 2003 confirme que les reprographies réalisées dans les écoles du premier degré doivent être considérées comme du matériel d’enseignement à la charge des communes. Le gouvernement avait en fait sollicité le Conseil pour ne  pas heurter de front l’Association des maires de France.
Dans les multiples déclinaisons de l’action gouvernementale y compris pour déclencher la refonte des règles devenues trop complexe et ingérables,  le gouvernement cherche auprès du Conseil un appui dans les postures arbitrales qu’il adopte mais aussi dans les négociations.

2-      L’AIDE DU CONSEIL D’ETAT DANS LA CONDUITE DES NEGOCIATIONS

Les réformes au sein de l’union Européenne sont toujours précédées de larges consultations. C’est dans ces temps d’émergence des propositions et de maturation des textes que la France doit réagir car c’est alors que les marges des manœuvres et d’inflexions sont les plus importantes (voir  rapport public,  « l’administration française et l’Union européenne quelles influences ? Quelles stratégies ? » EDCE, n° 58 la documentation française, 2007). Pour intervenir très en amont le gouvernement peut s’appuyer dans sa capacité à négocier sur les avis du Conseil d’Etat.
La procédure issue de l’article 88-4 de la constitution invite le gouvernement à demander l’avis du Conseil pour discerner dans les propositions d’actes communautaires, les dispositions  de nature législative. Au-delà de cette détermination, le Conseil avait initialement alerté le gouvernement sur la portée de certains textes. Cette pratique est partiellement tombée en désuétude du fait des délais d’examen très bref impartis aux sections administratives. Il est donc apparu nécessaire de prévoir une nouvelle procédure : la circulaire du 30 Janvier 2003 définit les modalités de saisine du Conseil sur les propositions d’actes communautaires dont le contenu est susceptible, d’avoir un impact important en droit interne par des difficultés prévisibles lors de la transposition ou la nécessité éventuelle de modifier la constitution.
Ces avis contribuent à forger, par un faisceau d’inspiration concordante, une position unifiée des autorités françaises fortes utiles dans le cadre d’une négociation communautaire ou internationale. Les observations  du Conseil auront en effet d’autant plus d’échos que transmises au parlement, elles seront bien souvent relayées dans les résolutions adoptées.
Dans son avis du 10 Juin 1993 sur la directive relative au traitement des données à caractère personnel et à leur libre circulation, le conseil  «  a estimé utile d’attirer l’attention du gouvernement dans la perspective des négociations relatives à l’élaboration de cet acte sur ces difficultés juridiques ».
Afin de prévenir tout risque d’inconstitutionnalité de la future loi de transposition, il conviendrait de veiller à ce que la directive ne contienne pas des dispositions qui conduiraient à priver des principes de valeur constitutionnelle de la protection que leur accorde la loi du 6 Janvier 1978 «  certaines pourraient conduire à une régression du niveau de protection jusqu’ici accordée à ces principes en droit interne ». L’attention était ainsi attirée sur différents articles du projet ; la protection des données, le traitement des données sensibles, le fichage des condamnations pénales. L’Assemblée Nationale et le Senat ont  voté des résolutions de même  inspiration, ce qui a eu une réelle influence dans la capacité de la France à négocier la rédaction de la directive du 24 Octobre 1995.
Le gouvernement se trouve confronter dans ses capacités de négociation par les éléments de contenu que lui transmet le CE. Lorsque l’Assemblée générale du conseil, dans son avis du 29 Avril 2004, se prononce sur l’élargissement du champ d’application du principe non bis in dem dans une proposition du Conseil de l’Union Européenne, il attire à cette occasion l’attention du gouvernement « sur le caractère incomplet des dispositions de la proposition de décision cadre relative aux cas de litispendante ». Une solution plus satisfaisante devait être apportée en conférant un rôle essentiel à la règle de la territorialité avant que ne soient tirées toutes les implications de cette règle à l’échelle de l’Union.
La ratification du protocole de Londres sur l’application de l’article 65 de la Convention de Munich de 1973 relative aux brevets européens qui réunit 31 membres au-delà de l’Union  Européenne, a soulevé de vives polémiques. Un brevet  est composé de deux parties principales : les revendications qui définissent l’étendue de la protection et la description qui détaille les aspects techniques mais n’est  pas constitutive du droit  au brevet. En cas d’entrée en vigueur de l’accord, la France ne renoncerait qu’à la traduction de la description de l’invention. Par contre, des brevets délivrés en français seraient validés dans les autres Etats, avec l’exigence de traduction des seules revendications. Les tenants d’une  politique volontariste de l’innovation se sont ici opposés aux hérauts de la francophonie qui estimaient qu’en dispensant de traduire en français la description de l’invention, l’accord serait contraire à la constitution. Selon l’avis du Conseil rendu le 21 Septembre 2000, aucune stipulation de cet accord n’oblige les personnes de droit public et de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public français, à utiliser une langue autre que le Français et aucune ne confère aux particuliers, dans leurs relations avec les administrations et services publics français, un droit à l’usage d’une langue autre que le français. Cet accord, qui s’inscrit dans le cadre de relations de droit privé entre le titulaire d’un brevet et les tiers intéressés n’est donc pas contraire à l’article 2 de la constitution. Dans une décision de 28 Septembre 2006, le Conseil Constitutionnel (C-C) reprend l’avis du CE pour autoriser les ratifications de cet accord sans révision préalable de la constitution.
La position du gouvernement sera d’autant plus forte que prenant appui sur les avis du Conseil, il sera en capacité d’agir en amont de la procédure d’élaboration des textes.
La directive Bolkestein, relative aux services dans le marché intérieur, est emblématique de cette nécessaire prise en compte de la chronologie administrative. Afin d’assurer la libre circulation des services sur le marché européen et d’éliminer les barrières qui en empêchent la pleine application, le projet initial proposé par la commission en Janvier 2004 reposait sur le principe dit du pays d’origine : la loi applicable  à un prestataire de services ne serait plus celle de l’Etat d’origine du prestataire. Ces dispositions ont rapidement opposé les pays d’Europe centrale et orientale désireux de profiter de leurs avantages comparatifs aux Etats membres de la vieille Europe qui craignaient un nivellement par le bas du model social européen. Dans un avis rendu en Assemblée générale le 18 Novembre 2004 le CE souligne l’imprécision du contenu du projet de directive :  «  en définitive, l’application du pays d’origine du prestataire de service devrait être modifiée dans son approche : il conviendrait de dresser une liste positive des cas dans lesquels ce principe pourrait être appliqué dans des condition satisfaisantes, au lieu de poser le principe de l’application de la loi du pays d’origine tout en dressant une liste d’exclusions hétérogènes et sans doute incomplète ». L’avis du Conseil a été relayé de manière explicite par deux résolutions du parlement Français ; celle adoptée le 23 Mars 2005 par le Senat  « rappelle les réserves du CE » et celle de l’Assemblée Nationale en date du 15 Mars 2005, « demande résolument d’abandon du principe du pays d’origine ». Sans doute la rue avait-elle –déjà dit son hostilité  à cette directive mais il faudra attendre le 16 Février 2006  pour que le parlement européen adopte un compromis qui renverse complètement l’approche initiale. Le sort du référendum du 29 Mai 2005 eût peut être été différent si le gouvernement français dès le départ s’était appuyé sur l’analyse du CE pour manifester son opposition à la rédaction initiale de la directive.
La fonction consultative de CE témoigne dudit et du non-dit : ce qui est légitimement attendu, de l’analyse du droit et de l’opportunité administrative, côtoie  le sous –jacent : l’appui apporté au gouvernement dans différents arbitrages et l’aide dans la conduite de négociations. Autorité morale, l’institution est un acteur majeur du processus de décision gouvernementale. Mais outre ce rôle il exerce des activités bien entendues au sein du parlement.

B-    La fonction de conseiller élargi au parlement depuis la reforme de 2008

La procédure législative nécessite l’intervention de nombreux acteurs. Le gouvernement et le parlement y jouent,  bien évidemment un rôle central. Ils sont les seuls détenteurs du pouvoir d’initiative législative selon le premier alinéa de l’article 39 de la constitution, le parlement est, par ailleurs, le seul compétent pour adopter les projets et propositions de loi. Mais la complexité croissante du droit implique aujourd’hui qu’auparavant, l’intervention de divers experts et l’assistance dans les prises de décisions. Le processus d’élaboration des lois n’échappent guère à cet impératif. Parmi ces acteurs, auxquels on n’apporte pas toujours une attention suffisante mais qui concourent incontestablement à l’élaboration de la loi, le CE occupe une place essentielle. L’implication du CE dans la procédure législative n’étant pas récente, nous étudierons d’une part la conception classique de cette fonction (1) et d’autre part l’évolution marquée par la réforme de 2008 (2).

1-      La conception classique de cette fonction
La fonction de conseil des autorités publiques qu’il remplit est à l’origine même de l’institution. C’est d’ailleurs celle qui s’est affirmée d’abord dans l’article 52 de la Constitution du 22 frimaire de l’an VIII qui a habilité le CE à «  rédiger les projets de lois et les règlements d’administration publique et (à) résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ».
En effet au fil du temps, les contours de cette attribution sont restés relativement stables, un nombre limité de réformes est venu la modifier, l’ajuster ou la réviser sans apporter de chargements considérables.
La Constitution en son article 83 bis donne sa mission au CE : «  donner son avis sur les projets et propositions de loi et les amendements… ainsi que sur toute  autres questions qui lui sont déférées par le gouvernement ou par les lois ». La loi du 12 Juillet 1996 portant réforme du CE  précise dans ses articles 2 et 3 les attributions en matière législative et règlementaire. Voici des extraits de l’article 2 : « aucun projet ni aucune proposition de loi ne sont présentées à la chambre des députés et sauf le cas d’urgence à apprécier par le Grand. Duc, aucun projet de règlement pris pour l’exécution des lois et des  traités  ne sont soumis au grand duc qu’après que le CE a été entendu en son avis. Cet avis est donné par un rapport motivé contenant des conclusions  et le cas échéants, un contre-projet. S’il estime un projet ou proposition de loi contraire à la constitution, aux conventions et traités internationaux, ainsi qu’aux principes généraux de droit (PGD), le CE en fait mention dans son avis. Il en fait de même s’il estime un projet de règlement contraire à une norme de droit supérieure ». Quant à l’article3 il dit ceci : «  le gouvernement avant de soumettre au CE un projet de loi en règlement, peut demander son avis sur le principe ».
En pratique comment cela se passe-t-il ? Un projet de loi est soumis par le Premier Ministre au CE. Une première discussion générale à lieu de préférence après l’obtention des avis obligatoires des chambres professionnelles et d’autres instances ayant reçu cette compétence par leur loi organique. C’est le cas par exemple du collège médical pour ce qui touche à la santé ou du Conseil National des étrangers pour tout ce qui traite du droit des étrangers. Le secrétariat complète aussi le dossier par les textes législatifs afférents en vigueur et le cas échéant dans nos pays voisins. En fonction de la complexité et de la « sensibilité » du projet la lecture et la discussion se fait soit globalement, soit article par article, facilitant la rédaction d’un projet d’avis par le rapporteur. Ensuite, nourri par la réflexion et la discussion collective, par les textes existants, il appartient au rapporteur de chercher en plus de la documentation scientifique nécessaire pour l’éclairer davantage, avant de se mettre à la formulation d’un projet d’avis. Ici encore, le secrétaire de commission et la responsabilité de la bibliothèque rendent de bons services. Enfin une fois rédigée et approuvé phrase par phrase par les membres de la commission  pour ensuite passer en assemblée plénière. Si l’avis suscite de  grandes discussions, il est renvoyé en commission en vue de  rechercher du consensus. Ceci explique aussi pourquoi les avis minoritaire sont rares. Lors du vote sur les avis, il arrive que des conseillers d’Etat s’abstiennent pour avoir participé en une autre qualité à l’élaboration du projet en question ; ceci dans le respect de la  séparation des pouvoirs. Les amendements gouvernementaux ou parlementaires passent les mêmes chemins mais à une vitesse supérieure parce qu’une connaissance approfondie du dossier est déjà donnée.
Pour les propositions de loi émanant d’un membre de la chambre des députés ; le CE demande au préalable une prise de position du gouvernement. Si une prise de position gouvernementale fait défaut, le CE avise ces propositions de loi selon le même schéma que décrit plus haut, si possible conjointement à des projets de loi ayant trait à des matières similaires. Quant aux directives à transposer en droit national, le CE veille à une transposition correcte, c’est –à-dire  en suivant de près les normes communautaires données et en faisant usage des stipulations qui laissent un vrai choix aux Etats membres. Un exemple récent a été la discussion sur le droit au travail des demandeurs d’asile pour lequel la directive laissait une certaine latitude.
Mais cette fonction s’est vue élargie avec la réforme de 2008.

2-      L’évolution marquée par la réforme de 2008

Cet aspect du rôle du CE dans le processus législatif  se trouve en question depuis la loi Constitutionnelle n* 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République (J.O, 24 Juillet 2008) qui a introduit à la fin de l’article 39 de la constitution la brève mention suivante : « Dans les conditions prévues par la loi, le président d’une assemblée peut soumettre pour des avis au CE, avant son examen en commission, une proposition de loi, déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose ». L’élargissement de la mission consultative est donc accordé au CE. La disposition constitutionnelle a été complétée par la loi n°2009-669 du 15 Juin 2009 tendant à modifier l’ordonnance n° 58-1100 du 17 Novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative qui a fixé les conditions selon lesquelles cette consultation pour avis du CE peut avoir lieu. Les dispositions suivantes y étaient introduites : il est procédé à l’examen de proposition de loi selon la procédure habituelle, c’est-à-dire en principe par l’une des sections administratives du CE  pris par l’Assemblée Générale(CJA, article L123-1) ; lors de cet examen, l’auteur de la proposition peut produire toutes observations, être entendu par le rapporteur et participer avec voix consultative aux séances desquelles l’avis du CE est délibéré (CJA article L123-2) ;l’avis émis par le CE est adressé au Président de l’Assemblée qui l’a saisi, qui le communique à l’auteur de la proposition (Ordonnance n°58-1100,17 Novembre 1958), article 4 bis , journal officiel 18 Novembre 1958), ainsi informé, l’auteur de la proposition dispose d’un délai de cinq jours francs pour s’y opposer (Ordonnance n°58-1100, 17 Novembre 1958). Le décret du 29 Juillet 2009 a également modifié la partie règlementaire du Code de Justice Administrative pour y apporter des ajustements de coordination et de détail de la nouvelle procédure consultative.
Cette réforme des attributions consultatives du CE, s’inspirant de la loi du 3 Mars 1849 qui autorisait le CE à formuler « un avis sur les projets de loi émanant soit de l’initiative parlementaire soit du gouvernement, que l’Assemblée Nationale juge à propos de lui renvoyer » est perçue comme une : « réelle innovation » dans le cadre de la Vème  République. Ainsi, lorsque le CE émet un avis sur une proposition de loi, il exerce incontestablement une fonction de conseil législatif et grâce à cette fonction, il est placé aujourd’hui «  au cœur des pouvoirs publics ». C’est un dialogue inédit qui est instauré entre le parlement et le CE, conseiller traditionnel du gouvernement.
Cependant, l’impact réel de cette réforme est à déterminer.
En effet, la réforme initiée par la loi Constitutionnelle du 23 Juillet 2008 se présente comme une extension de la fonction de conseiller législatif du CE au –delà des initiatives gouvernementales aux initiatives parlementaires. C’est l’objectif principal de la réforme : améliorer le travail législatif en renforçant le pouvoir d’appréciation et de décision et la capacité d’expertise du parlement, tout en accentuant le poids du Conseil dans le processus d’élaboration de la loi. Le CE voit ainsi  « son rôle évoluer dans le sens d’une participation généralisée à la fonction législative se traduisant par l’exercice d’un contrôle a priori de l’initiative des lois. […], c'est-à-dire avant son intervention  au contentieux ou l’intervention du Conseil Constitutionnel » (confère A.Roblot-Troisier, J.-G Sorbara, op.cit ; p.1996). De  même il ne faut pas oublier que, lorsqu’il rend des avis au gouvernement et au Parlement, il exerce incontestablement sa troisième fonction, aux cotés de sa fonction administrative et de sa fonction juridictionnelle. Cette fonction est de nature législative et revient en dernier lieu à l’Assemblée Générale après examen par une section administrative (confère dans le même sens V.A. Roblot-Troisier, J,-G ; sorbara, ibid.).
En effet, comme lors de l’examen des projets de loi, ici aussi le CE doit être perçu comme un organe indépendant, exerçant une fonction de conseil législatif. Tout d’abord, le CE livre une expertise juridique du texte-projet ou proposition de loi-qui lui est soumis. Il se contente d’exprimer le droit, « il ne procède pas à une critique de la norme, sinon du point de vue technique et juridique » (confère P.Gonod, « le CE, conseil du parlement. A propos de l’article 39 al 3 de la constitution » RFDA, 2008.p.872)
En tant que conseiller du parlement, le CE s’est également prononcé sur des dispositions de diverses natures. La première saisine dans le cadre de la nouvelle procédure est un exemple par excellence de l’étendue des domaines que la consultation peut couvrir. Le CE s’est prononcé sur 150 articles tendant à améliorer la qualité des normes et des relations des citoyens avec des administrations ; à clarifier et à simplifier le régime juridique des groupements d’intérêt public ; à simplifier  le droit de l’urbanisme ; à tirer les conséquences du défaut d’adoption des textes d’application prévus par certaines disposition législatives ;à simplifier et à clarifier notre législation pénale, à améliorer la qualité formelle du droit ; et à modifier diverses dispositions législatives. Le Conseil d’Etat a entendu accomplir sa nouvelle fonction de manière complète comme il a l’habitude de le faire pour les projets de loi. Loin de se borner a formulé un simple avis qui porte la mention  « favorable » ou « défavorable » et sans connaître de frontières précises, le CE contrôle les textes qui lui sont soumis a trois niveaux : le droit, l’opportunité et la forme.
Le CE se livre à une recherche de l’impact de la proposition de loi sur la sécurité juridique. Il vérifie notamment le respect des normes de droit supérieur-la Constitution, les textes de l’Union Européenne ; la Convention Européenne et ou  tout autre texte de Droit International que la France a signé et intégré dans l’ordre juridique interne. Il vérifie également si la proposition de loi s’articule correctement avec le droit existant. Il contrôle enfin la bonne application des dispositions nouvelles dans le temps et dans l’espace.
Le CE s’engage également dans une recherche de l’ « opportunité » législative et administrative du texte qui lui est soumis. Il examine la cohérence tant interne qu’externe de la proposition de loi ainsi que la pertinence des solutions retenues au service des objectifs du texte. Il apprécie la possibilité de mettre en œuvre  efficacement ces objectifs.
En ce qui concerne le dernier niveau de son contrôle, le CE procède non seulement à une correction purement formelle mais également à une correction juridique des projets et des propositions de loi qui lui sont soumis. Il peut être conduit à suggérer une nouvelle rédaction de certains passage dans une langue correcte et précise « évitant les ambiguïtés sources de contestations futures » (Confère N. Belloubet, » « CE »  in le conseil d’Etat, pouvoir, n°123 P.35). Le CE s’attache à vérifier si le texte s’insère correctement  « à sa place, par rapport notamment aux textes et aux codes existants » (confère M. Long, op.cit.p.788). Il tient à ce que les textes soient d’une parfaite qualité du point de vue du droit.
La nouvelle compétence consultative qui fait du CE conseiller du parlement, lors des débats entourant la mise en place de la réforme, plusieurs amendements relatifs à la publicité des avis du CE ont été proposés. Quelques parlementaires avaient même suggéré la publicité de l’ensemble des avis rendus par le CE sur les projets comme les propositions de loi. Sur ce point le CE a considéré dans le tout premier  avis rendu, que la question de la publicité à réserver à ses avis relève de la seule compétence des organes de l’Assemblée parlementaire qui l’ont saisi. Ces avis dont le CE est tenu de rendre revêtent une forme particulière. Les avis rendus dans le cadre de la nouvelle procédure ont permis d’observer que leur forme n’est pas celle habituellement adoptée pour l’examen des projets de loi. Le CE n’a pas procédé « à la réécriture complète du (texte), assortie le cas échéant d’une note explicative » ainsi qu’il est d’usage pour les projets de loi ou de décret pour lesquels l’avis du CE s’exprime essentiellement par la mise au point et l’adoption d’un projet alternatif (Confère R. Bouchez op.vit.n°35). En effet, à l’occasion de l’examen de la première proposition de loi portant sur la simplification et l’amélioration de la qualité du droit, le CE a passé en revue les dispositions transmises en suggérant des reformulations, mais sans proposer de nouvelle rédaction d’ensemble. Pour la deuxième proposition de loi, le CE ne s’est pas écarté de cette ligne de conduite ‘(confère V. Rapport 2297 de l’Assemblée Nationale). Par conséquent «  l’usage qui naît de la répétition, se trouve ainsi établi » : les avis rendus dans le cadre de la nouvelle procédure consultative comportent donc des observations générales pris des remarques article par article, assorties le cas échéant de proposition de rédaction (il faut noter ici que le CE, saisi par le gouvernement, a rendu un avis le 20 Juin 1967, sur une proposition de loi tendant à modifier les limites des départements de l’Ain, de l’Isère et du Rhône (Loi n° 67-1205 du 29 Décembre  1967 modifiant les limites de département de l’ Ain ,de l’Isère et du Rhône) dans lequel il avait procédé à un examen proche de celui qu’il a retenu pour les avis rendus dans le cadre de la nouvelle procédure de consultation puisqu’il n’a alors pas réécrit le texte mais formulé une suggestion de rédaction). Certains  auteurs expliquent à juste titre que «  cette différence de prestation a de fortes justification, qui tiennent au moment auquel intervient l’avis au CE dans la procédure législatif (R. Bouchez op.cit.n° 36 et 37). Le moment de la saisine du CE n’influe pas uniquement sur la forme de l’avis, mais également sur l’étendue du contrôle qu’il peut déployer. Le CE estime qu’il ne lui appartient pas dans le cadre de la nouvelle procédure consultative d’examiner les questions de recevabilité financière que peuvent soulever les dispositions de la proposition de loi étant soumise au CE pour avis après son dépôt, il résulte des règlements de l’Assemblée nécessairement déjà fait l’objet d’un examen et d’une décision positive de la part des instances de l’Assemblés au sein de laquelle elle a été déposé (V. sur ce point R.Bouchez ; op.cit.n° 38 et 39). La consultation ne peut intervenir qu’après  dépôt de la proposition et avant sont examen en commission, de sorte que l’initiative du ou des parlementaires auteurs de la proposition est déjà «  cristallisée » (R.Bouchez  op.cit. N°36 et 37) par un texte et rendue publique et que la procédure parlementaire est déjà engagée sur cette base. Par conséquent la proposition de loi déposée ne peut être modifiée que lors de son examen en commission puis en séance publique. Il est donc «  institutionnellement normal que le CE ne ‘’ s’empare’’ pas du texte comme il peut le faire pour un projet de loi ». En revanche lorsqu’un projet de loi est soumis au CE, ce n’est en réalité« qu’un avant  projet de loi du gouvernement, en place de confection qui n’a pas encore vraiment d’existence institutionnelle ». Il peut être facilement modifié ou amputé de certaines de ses dispositions.
La collaboration entre les assemblées et le  CE s’avère beaucoup plus complexe dans la mesure où celui-ci se présente comme « une institution placée au cœur du pouvoir exécutif ».Certes, le contexte institutionnel politique a rangé depuis longtemps                                                                          « le CE aux cotés d’un exécutif  qui partage avec le parlement l’exercice de la fonction normative ». Placé au cœur du pouvoir exécutif le CE est perçu comme un usurpateur ; comme une menace potentielle.
Malgré tout dans sa fonction consultative, le CE est bien accepté et exerce pleinement ses activités tant au près du gouvernement  qu’auprès du parlement.
Qu’en est- il de sa fonction contentieuse ?

II-CONSEIL D’ETAT : JUGE CONSTITUTIONNEL CONTESTE DANS SA FONCTION CONTENTIEUSE

Le juge dans sa fonction contentieuse est amen
é à connaître des litiges impliquant des normes constitutionnelles voire législative. Il est donc amené à connaitre ces litiges qui ont entrainé de possible refus. Nous étudierons donc d’une part la fonction de juge constitutionnel refusé (A) et d’autre part la fonction de juge constitutionnel pratiqué (B)

A-    La fonction de juge refusé
Le problème ici est de savoir s’il est possible au CE de juger de l’inconstitutionnalité d’une loi ; s’il peut intervenir dans le contrôle de constitutionnalité ; bref si dans sa fonction contentieuse il est devenu un juge constitutionnelle. Ainsi nous étudierons le principe posé par l’arrêt Arrighi d’une part (1) et d’autre part le débat doctrinale sur la position du CE (2)

1-      Le principe posé par l’arrêt Arrighi
En l’espèce, M. Arrighi a effectué dans l’armée ainsi que pour des métiers civils, un total de trente ans de service ; de ce fait, deux Décrets des 4 Avril et10 Mai1934 pris en l’application de l’article 36  de la loi du 28 Février 1934, le placent à la retraite d’office. Il s’agit ici de la mise en œuvre de la procédure particulière du décret. La loi du 28 Février 1934 étant une« loi d’habilitation » autorisant le gouvernement à intervenir dans des domaines normalement réservés au pouvoir législatif, M. Arrighi souhaite alors contester ces deux décrets.
L’état de droit est la soumission d’une société à son droit. Pour les autorités compétentes pour édicter des normes, l’état du droit signifie aussi le respect de la hiérarchie des normes. Ainsi le CE semble avoir pris cette décision avec réticence, en évoquant l’état du droit public  français  en ces termes clairs et ferme : «  En l’état actuel du droit public français, le moyen de contrariété d’une loi constitutionnelle  de 1875 n’est pas de nature à être discuté devant le CE statuant au contentieux ». Le CE se reconnaît donc incompétent pour juger de la constitutionnalité d’une loi et donc les actes administratif pris en application d’une loi ne peuvent être attaqués en invoquant directement son constitutionnalité.
En effet, l’incompétence du juge dans l’arrêt Arrighi se fonde sur l’article 61 de la Constitution du 04 Octobre 1958 : «considérant que l’article 61 de la Constitution du 4 Octobre 1958  a confié au Conseil Constitutionnel (CC) le soin d’apprécier la conformité d’une loi à la Constitution ; que ce contrôle est susceptible de s’exercer après les vote de la loi et avant sa promulgation ; qu’il ressort des débats tant du comité consultatif constitutionnel que du CE lors de l’élaboration de la constitution que les modalités ainsi adoptés excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de son application. En plus le juge administratif étant le juge de l’administration donc de l’exécutif, il ne  peut en vertu  de la séparation des pouvoirs, se permettre de censurer un acte pris par le pouvoir législatif : il est le serviteur de la loi et non son juge. Le CE n’aura pas attendu 1958 et la création du Conseil Constitutionnel pour s’exclure lui-même du contrôle du constitutionnalité. Ainsi donc parmi les actes des assemblées elles-mêmes figurent au premier rang, les lois qui, adoptée exactement dans l’exercice du pouvoir législatif ne peuvent être contrôlées par le juge administratif non plus par le juge judiciaire, ni par voie d’action ni par voie d’exception. En particuliers l’exception d’inconstitutionnalité n’a jamais prospéré devant les juridictions de droit commun. L’incompétence de la juridiction administrative peut toutefois s’expliquer sur deux sortes de considérations :la première tient à la«  souveraineté » du parlement qui serait incompatible avec le contrôle de quelque juridiction que ce soit ; la seconde vient de ce que le juge administratif compétent à l’égard des autorités administratives ne peut l’être envers les autorités parlementaires, dont le statut, les fonctions relèvent du législateur. Ces raisons ont peut être prévalu non seulement sur les actes adoptés par les Assemblées mais aussi ceux qui émanaient de certains de leurs organes.
Par ailleurs, le juge administratif s’est toujours refusé à exercer un contrôle de constitutionnalité de la loi, de crainte d’entrer en conflit avec le législateur, conscient du fait que la position qui était la sienne pouvait ne pas permettre une pleine application de l’article 55 de la Constitution.
En l’espace Arrighi, le problème s’est posé de savoir si le CE est compétent pour juger si le décret est conforme à la Constitution. Le CE  a affirmé la théorie dite de la loi écran, refusant le Contrôle de Constitutionnalité d’un acte règlementaire pris en application d’une loi. Il en découle que la loi fait en quelque sorte ‘’ écran ‘’ entre la Constitution et l’acte administratif (Ici le décret). Tout ceci rend compte de la conception traditionnelle. Le juge administratif n’est pas étranger à la Constitution mais n’a pas la compétence qu’a le juge constitutionnel qui n’est autre que le pouvoir de sanction. Le juge administratif peut interpréter la Constitution et la loi,  mais la seule institution autorisée à abroger la loi c’est le Conseil Constitutionnel. On peut aussi traduire cela de la façon suivante. Le juge administratif rend des décisions qui n’ont que l’autorité relative de la chose jugée.
Si la Constitution a désigné une seule et unique institution compétente pour avoir connaissance de la constitutionnalité de la loi cela signifie à contrario qu’aucune autre institution n’a le pouvoir d’exécrer cette prérogative. C’est la théorie  de la compétence exclusive. Celle-ci se fonde sur l’interprétation de la lettre de la Constitution que sur la volonté des constituants. L’argumentation du CE tenait en une seule phrase «  qu’il ressort des débats tant du comité consultatif constitutionnel  que du CE lors de l’élaboration de  la Constitutions que les modalités ainsi adoptées excluent un Contrôle de Constitutionnalité de la loi au stade de application ».
La doctrine quant à elle était aussi très mouvementée

1-      Le débat doctrinal sur la position du CE
Des auteurs ont pour leurs part exprimé aussi leur point de vue sur la position de CE.
En 1937 Achille Mestre commentant  l’arrêt Arrighi à tout dit. Raymond carré de Malberg, Maurice HAURIOU ou encore Léon Duguit avaient mené en leur temps  des joutes verbales pour défendre ou condamner le Contrôle de Constitutionnalité des lois par le juge administratif. S’inscrivant dans le contexte de la IIIème  république ce débat avait une teinte, une saveur. Les légicentristes s’opposaient aux constitutionnalistes d’alors, dont faisait partie le CE. La doctrine encourageait le juge administratif à exercer cette nouvelle prérogative qu’était le Contrôle de Constitutionnalité de la loi. Cependant, ce même juge considérait que cela outrepassait ses pouvoirs. On lui demandait de piétiner les belles paroles de Montesquieu  voulant que le juge soit la bouche de la loi.
Bruno Genevois estime pour sa part que la CE refuse de devenir  «  le censeur de la loi ».
En effet, avant 1958, le débat était richement nourri par des auteurs tels que Kelsen et ceux cités plus haut. Ils se fondent sur les grands principes juridiques, tels que la séparation des pouvoirs, le CE s’est opposé à la majorité de cette doctrine. Solution jurisprudentielle constante, le respect du juge face à la loi fait écho à une tradition française profondément ancrée.
Ainsi dans sa note sous l’arrêt Arrighi en 1936, Achille Mestre déclara que «  ce  qui demeure interdit aux tribunaux de tous ordres, c’est  en tout circonstance une appréciation critique de la loi, alors même que celle –ci semblerait imposée par l’application de la constitution »
Déjà en 1901 (CE 23-05 1901) par l’arrêt Delarue  le CE avait estimé qu’il  était incompétent pour contrôler la constitutionnalité de la loi. Comme il a été déjà souligné le CE a vu ses prérogatives augmenter au fur et à mesure des années mais il s’est toujours refusé à ce contrôle. Au vu de l’arrêt Arrighi, le président Odent qualifia cette position  «  d’indiscutable… » Le CE a réitéré sa position maintes fois, se dressant ainsi face à une doctrine qu’Eisenmann reconnaissait à peu  près unanime sur ce sujet. Ce fut le cas en 1901, en 1936, en 1997 et plus récemment à 2005. Cette position  traditionnelle correspond au modèle européen de justice  constitutionnelle. Il s’agit d’une justice constitutionnelle concentrée et spéciale, ce qui signifie qu’une juridiction détient le monopole de la compétence en matière de contrôle de constitutionnalité.
En 1928, Kelsen Théorisant ce modèle américain, il s’agit de confier le contrôle de constitutionnalité de la loi à tout les juges ordinaire, une juridiction suprême assurant la cohérence du système. Certains auteurs ont donc appelé le CE, le Conseil Constitutionnel ou même le législateur a opté pour ce second modèle ; sans réponse.
Léon Duguit alla même jusqu’à proposer un recours pour excès de pouvoir contre la loi.
Toutefois, Jérôme Trémeau rappelle que le CE « n’a eu de cesser d’affirmer son incompétence pour procéder à une telle vérification ».
Cette position  se fonde sur un principe fondamental : la séparation des pouvoirs.
L’histoire politique française explique aussi, la volonté du CE de respecter son rôle. Durant l’ancien régime, les juges des parlements prenaient des arrêts de règlement, ce qui leur fut interdit par la suite. L’article 5 du code civil dispose ainsi que «  il est défendu aux juges de se prononcer par voie de disposition générale et règlementaire sur les causes qui leur sont soumises ». En principe, le législateur vote les lois et le juge doit les appliquer. Néanmoins, l’administration, par  ses actes  devait appliquer et respecter la loi. Le CE refusa toujours  de contrôler la loi au regard de la constitution. Jean Marc Sauvé  considère lui que « c’est la conscience qu’a le juge de sa propre légitimité qui justifie ce refus ». Le juge n’a pas été élu par le peuple il ne peut donc remettre en cause la volonté du peuple, transcrite par le parlement. Le   vice président du CE ajoute que ce refus traduit : «  une volonté de respecter les équilibres et les pouvoirs » le juge administratif appartient au monde juridique, alors que le  parlement appartient au monde politique.  On peut aussi considérer que le CE veut rester dans le monde juridique, le contrôle de constitutionnalité de loi pouvant l’amener à une appréciation politique. Cet argument peut toutefois être  renversé des lors que l’on rappelle le rôle consultatif du CE dans l’élaboration des lois. Il faut cependant rappeler les propos d’Henrion de pansey juristes des XIIIème siècles et XIXème siècle « juger l’administration, c’est encore administrer ». Ces paroles pourraient être appliquées au contrôle  de constitutionnalité de la loi : «  juger la loi, c’est encore légiférer ».
Par ailleurs, jusqu’en 1946 voire 1958 l’univers juridique français obéissait à un principe: le légicentrisme. La loi expression de la volonté générale ne pouvait être remise en cause par le juge.
En plus dans son exposé de synthèse par Jean Mar Sauve, il déclarait «  si large qu’ait été […] l’extension des pouvoirs du juge dans l’interprétation de la loi, elle ne saurait aller jamais jusqu’à priver de force un acte législatif […] les règles de droit dégagées par une forte jurisprudence ont tôt au tard […] même en dehors de leur domaine, une influence salutaire  et comme une sorte d’irradiation. C’est le seul rôle, selon nous, qu’en l’état du droit puisse avoir votre jurisprudence en dehors du domaine qui vous est propre, des actes administratifs (confère conclusion Latournerie sur CE 6 novembre 1936, Arrighi et Dame veuve Coudert, Dalloz 1938.3.1 note Eisenmann).
Le président Latournerie, en concluant ainsi sur les arrêts Arrighi et Dame Veuve Coudert exprimait avec force le rôle que le juge administratif entendait alors être le sien dans le domaine du contrôle de constitutionnalité des lois.
Le doyen Vedel soulignait que le Conseil Constitutionnel, comme le CE et à certains égard la Cour de Cassation est bien «  une juridiction spécialisée, juge d’attribution, souverain dans l’exercice de sa compétence mais non une cour suprême polyvalente ».
Mais l’évolution du droit donne tort désormais à tous les auteurs. Les vérités d’antan se sont plus celles d’aujourd’hui. Les fonctions et pouvoirs du juge administratif ont grandement évolué. De la fin du référé législatif à l’acceptation du Contrôle de Conventionalité de la loi, l’office du juge administratif n’est plus celui qu’il était avant. Se refusant d’abord à devenir le censeur de la loi selon l’expression de Bruno Genevois, il accepte de devenir petit à petit le protecteur des droits fondamentaux. L’avènement de la question prioritaire de constitutionnalité marqua la fin du débat.
B-    La fonction de juge constitutionnel pratiqué
Longtemps attendue, souvent redoutée la question prioritaire de constitutionnalité a été introduite en droit français par la révision constitutionnelle du 23 Juillet 2008, définie dans ses  modalités par la loi organique du 10 Décembre 2009, validée par la décision du Conseil Constitutionnelle du 3 Décembre 2009 et est entrée en application le 1er Mars 2010. Sans doute une révolution juridique qui devrait marquer l’avènement d’une culture de la Constitution dans un pays pétri par la culture de la loi. Nous étudierons d’une part la constitutionnalisation de la QPC (1) et d’autre part la condition de mise en œuvre de la QPC (2).
1-      LA CONSTITUTIONNALISATION DE LA QPC
La question prioritaire de constitutionnalité est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil Constitutionnel, saisi sur renvoi par le CE ou la Cour de Cassation de se prononcer et le cas échéant, d’abroger la disposition législative. La question prioritaire de constitutionnalité à été  instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 Juillet 2008. Avant la réforme, il n’était pas possible de contester la conformité à la Constitution d’une loi  déjà  entrée en vigueur.
La QPC n’est pas un recours direct. Elle donne au justiciable le droit de soulever une question de constitutionnalité devant le juge ordinaire. En d’autres termes, la  constitutionnalité d’une loi ne peut être contestée qu’à l’occasion de son application contentieuse à un cas particulier. Le titulaire de ce nouveau  pouvoir est ainsi le justiciable, catégorie plus large que le citoyen puisqu’elle comprend toute partie à une instance soit des personnes physiques, morales etc.
Et puisque ce nouveau pouvoir est donné au justiciable, il peut l’utiliser devant n’importe quelle juridiction et à n’importe quel moment de la procédure juridictionnelle en cours. La loi organique prévoit en effet, qu’une QPC peut être soulevée devant toute juridiction relevant du CE ou de la Cour de Cassation, couvrant ainsi toutes les juridictions de première instance, de droit commun, Tribunal d’Instance, Tribunal Administratif ou spécialisées.
La CE en acceptant par l’arrêt Nicolo d’écarter l’application d’une loi postérieure contraire à un engagement international, il  s’est engagé dans la voie d’un Contrôle de Constitutionnalité indirect de la loi promulguée. À l’égard de l’exercice du Contrôle de Constitutionnalité, le CE depuis l’arrêt Arrighi distingue deux hypothèses.
Avant la reforme, il n’était pas possible de contester la conformité à la Constitution  d’une loi déjà entrée  en vigueur.
Désormais, les justiciables jouissent de ce nouveau  droit en application de l’article 61-1 de la  Constitution.
Cet article dispose: « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur le renvoi du CE ou de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Le deuxième alinéa de l’article 62 prévoit qu’« une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à  compter de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil Constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disparition a produits sont susceptibles d’être remis an cause».
Le CE exerce comme prévu un double filtre. En effet le juge doit confronter les questions prioritaires de constitutionnalité à des critères afin de décider de les adresser ou non du Conseil Constitutionnel. Le juge doit apprécier notamment le caractère sérieux de la question, ce qui l’amène irrémédiablement à effectuer un pré-contrôle de constitutionnalité.
Contrairement au juge administratif ordinaire qui doit vérifier que la question n’est pas dénuée de caractère sérieux le CE doit apprécier la question qui lui est posée dans le fond.  Contrairement au juge administratif ordinaire, la CE ne doit pas être le « juge de l’évidence ». Il doit donc interpréter la Constitution et la loi afin d’évaluer la conformité de la seconde à la première.
Les lois pouvant faire l’objet de la QPC sont seulement les  dispositions législative. Il s’agit des textes votés par parlement : lois et lois organiques ainsi que les ordonnances ratifiées par le parlement. La QPC peut être soulevée à l’encontre de toute disposition législative quelle que soit la date de sa promulgation ; même les dispositions législatives antérieures à l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 Octobre 1958 entrent dans le cadre de la  nouvelle procédure.
En revanche, d’autres textes votés par le parlement comme  les règlements des assemblées ou certaines résolutions, n’entrent pas dans le champ de la QPC.
De même, les décrets, les arrêtés ou les décisions individuelles ne peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. Ce sont des actes administratifs dont le contrôle de constitutionnalité relève du CE. Il en va ainsi par exemple des dispositions d’une ordonnance n’ayant pas fait l’objet d’une ratification par le parlement et qui conserve, de ce fait un caractère règlementaire (CE, 11 mars 2011 M. Alexandre)
Bref la question prioritaire de constitutionnalité née de la révision constitutionnelle de 2008, entrée en vigueur le 1er  Mars 2010 a permis de renouveler l’eternel débat. L’administratif est devenu le filtre de la question prioritaire de constitutionnalité ce qui l’a mené sur un terrain qui l’embrasse selon  Laurent Seurot : la constitutionnalité de la loi. Mais la question prioritaire de constitutionnalité est soumise à des critères très important pour sa mise en œuvre par le CE ou autres juridictions.
2-Les conditions de mise en œuvre  de la QPC
Toute question de constitutionnalité soulevée par la justiciable ne conduit pas automatiquement à la saisine du Conseil Constitutionnel. Il faut que la question ait « un caractère sérieux » et la loi organique a confié la responsabilité d’en décider aux juges judicaires et administratifs. Par ce filtre le législateur à voulu éviter l’engorgement du Conseil Constitutionnel ; mais ce faisant, il a mis le juges ordinaires en situation d’exercer un pré-Contrôle de Constitutionnalité. Il est impossible, en effet, de décider du caractère  sérieux ou non d’une question sans porter un jugement, même rapide, sur la constitutionnalité de la disposition législatif contestée. Ce n’est pas affaire d’homme ou de volonté politique mais de nécessité logique : si le caractère sérieux vise à écarter les questions fantaisistes et le recours dilatoire, si le caractère sérieux d’une QPC doit s’entendre comme étant de nature à faire naître un doute dans un esprit éclairé, ce doute naît nécessairement d’une appréciation portée par le juge sur la constitutionnalité qui lui parait discutable, incertaine, litigieuse de la disposition législative critiquée.
Les premières décisions en font la démonstration. Dans son arrêt  du 16 Avril 2010, le CE juge qu’il n’est pas sérieux de contester la constitutionnalité de son organisation interne alors que la coexistence en son sein de fonctions administrative et juridictionnelles est régulièrement discutée au regard des règles du procès équitable et que les pouvoirs publics, pour diminuer le risque l’inconstitutionnalité, procèdent à des aménagements successifs de cette coexistence ;dans son arrêt du 19 Mai 2010, il juge que la disposition législative à la gestion des comptes des détenus  «  n’a pas par lui- même et ne saurait avoir pour effet d’imposer aux personnes prévenues un prélèvement définitif de leurs avoirs au profit des parties civils et des créanciers d’aliments » et n’est donc pas contraire au principe de la présomption d’innocence et que par la suite la question soulevée n’est pas sérieuse. Dans la même logique, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 7 Mai 2010, a jugé que «  l’infraction de contestation de crimes contre l’humanité ne port pas atteinte aux principes constitutionnelles de  liberté d’expression et d’opinion » alors pour tant qu’un soupçon d’inconstitutionnalité pèse sur la loi Gayssot depuis son adoption en 1990. Dans ces trois arrêts, les cours suprêmes se font juges  directs et immédiats dans la constitutionnalité en se livrant à une interprétation de la disposition législative contestée  comme le ferait le C.C. s’il était saisis.
Mais précisément, il ne l’est pas « sans qu’il soit besoin de renvoyer au C.C » dit le CE car les cours ont fait une interprétation de la loi qui la rend, selon elles, conforme à la Constitution et fait ainsi perdre à la QPC sont caractère sérieux.
Sans doute pour décider du caractère sérieux de la contestation les juges ordinaires  doivent nécessairement, procéder à une analyse de constitutionnalité, mais ils avaient le choix entre une analyse qui conduisait à faire naître un doute sur la constitutionnalité de la loi et donc, sans aller plus avant, à saisir le Conseil Constitutionnel et une analyse qui  conduisait à faire une interprétation constitutionnelle de la loi et donc à ne pas saisir le Conseil. Cour de Cassation et CE semblent avoir choisi pour l’instant, la seconde voie.
Au niveau des cours suprêmes, l’appréciation du caractère sérieux de la question de constitutionnalité  est complétée par celle de son caractère « nouveau ». La loi organique ayant, en effet prévu  deux filtres, les conditions de recevabilité d’une QPC  sont examinées deux fois ; une fois par le juge a quo et une fois par sa cour suprême. Pour distinguer le premier du second et le rendre utile, il est donc demandé aux cours suprême de dire si la question constitutionnelle soulevée est nouvelle. Mais ce faisant, le second filtre est plus lâche que le premier puisqu’une question constitutionnelle pourrait ne pas être sérieuse mais nouvelle. Par   exemple, parce que la disposition législative contesté n’a jamais été examiné au regard du prince constitutionnel invoqué à l’appui de la QPC, ou  parce que le principe invoqué à l’appui de la QPC, ou parce que le principe invoqué  n’a pas encore été reconnu constitutionnel par le Conseil. Il est exigé qu’un justiciable ne puisse invoquer à l’appui d’une QPC que les droits et libertés que garantit la Constitution.
A l’évidence ,peuvent être invoqués à l’appui d’une QPC  tous les droits  et libertés  de fond que le Conseil Constitutionnel à progressivement, « découverts» dans la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946 :liberté individuelle, liberté d’aller et venir, droit  à la sureté, invisibilité du domicile, droit au respect, la vie privée, droit de propriété, liberté d’entreprendre, liberté constitutionnelle, liberté d’opinion, liberté syndical, droit de grève, droit à la santé, droit à l’égalité…Quelque soit le support juridique de ces droits et libertés  écrit constitutionnel, principe à valeur constitutionnel, principe fondamental  reconnu par les lois de la république, principe particulière nécessaire à notre temps, ils protège les individus dans l’exercice de leurs activités civiles ,politiques et sociales, ils définissent et constituent le fondement du vivre ensemble, et à ce double titre leur respect  s’impose au législateur.
Moins évidente  en revanche est l’inclusion dans le bloc de constitutionnalité propre à la QPC de trois catégories de textes.

D’abord, la charte de l’environnement :sans doute ,comme l’a connu le conseil dans sa décision  du 19 juin 2008,toutes ses dispositions ont valeur constitutionnelle ;mais certaines  sont des droits « droit de vivre dans un environnement et de participer  à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » ; « devoir de la personne de contribuer à la réparation des dommages  qu’elle cause  à l’environnement ».Si les dispositions de la charte  qu’énoncent des droits sont  évidement invocables dans le cadre d’une QPC, celles que déterminent des devoirs pourraient ne pas l’être. Pour qu’il en soit autrement, le juge devra  considérer que l’atteinte à un droit est la conséquence nécessaire d’un manquement à un devoir constitutionnel et qu’en conséquence ce manquement peut être invoqué à l’appui d’une QPC.
En revanche, un devoir pourra toujours être invoqué dans le débat   contradictoire par la partie qui s’oppose à la QPC.

Ensuite, certains principes difficilement classables dans la catégorie principe de fond ou principe de procédure. Ainsi des principes de précaution, d’indivisibilité de la République ou de séparation des pouvoirs. De valeur indiscutablement Constitutionnelle, ces principes ont pour objet l’organisation des pouvoirs publics et le mode d’action publique ; ils ne sont donc pas, stricto sensu, des droits de l’homme. Pourtant le juge pourrait considérer que ces principes peuvent être invoqués à l’appui d’une QPC dans l’exacte mesure où ils sont la condition et la garantie des droits et libertés : le principe de séparation des pouvoirs par exemple est une garantie pour la liberté individuelle, pour l’indépendance de la justice, pour le droit au juge…le principe de précaution une garantie pour le droit à la santé…
Enfin, les objectifs de valeur constitutionnelle. De la dénomination formelle « objectifs »le juge pourrait conclure en l’absence de droit ; mais, matériellement, ces objectifs servent  à garantir des droits : la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent garantit le droit au développement de chacun, la lutte contre la fraude fiscale le droit à l’égalité devant l’impôt, l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi le droit des sujets de droit à ne pas être soumis au risque de l’arbitraire. Dans tous ces cas, il reviendra aux juges sous le contrôle du Conseil Constitutionnel, de décider de l’étendue des normes constitutionnelles invocables à l’appui d’une QPC.

Pour être recevable la QPC doit porter sur une disposition législative en lien avec le procès ordinaire. En effet, la QPC inclut les tiers intervenant qui peut avoir, dans un litige opposant deux parties un intérêt propre à soulever une QPC pour défendre tel ou tel de ses droits constitutionnels.
Et puisque ce nouveau pouvoir est donné au justiciable, il peut l’utiliser au cours d’un procès  devant n’importe quelle  juridiction.
Après un d’un débat sur l’opportunité de limiter le  camp de  la QPC  aux seules lois  votées depuis 1958 le constituant a décidé qu’elle pourrait être soulevée à l’encontre de toute disposition législative sans restriction temporelle, matérielle ou formelle.  Quelle que soit  sa date d’adoption, quelle que soit son contenu, quelle que soit sa forme, toute disposition législative peut donc faire l’objet d’une QPC. Toutefois si toute loi peut faire l’objet d’une QPC, il faut cependant que la question soit posée à  l’encontre d’une « disposition législative » c’est – à – dire d’un ou de plusieurs articles précis, d’un alinéa d’article voire d’une phrase et que cette disposition soit «  applicable au  litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites ». Cette condition d’applicabilité a pour objet de lier le procès constitutionnel au procès ordinaire ; la contestation ne peut pas porter sur la constitutionnalité d’une disposition étrangère au litige ou inutile à son règlement ; elle doit viser la disposition qui est à l’origine du procès ordinaire et dont, pour cette raison, il est indispensable de vérifier la constitutionnalité. Ainsi l’arrêt du 23 Avril 2010 est significatif. Le CE sélectionne les dispositions pertinentes alors que le requérant contestait l’article 137 de la loi de finances rectificative pour 2008, il juge que seules les dispositions du IV sont applicables au litige et déclare irrecevable la contestation de constitutionnalité portant sur les dispositions I ; II ; III ; V ; VI ; VII et VIII de l’article 137.
Suivant l’extrait du rapport effectué dans le cadre d’une recherche réalisée, le filtre exercé par  le CE entre la date de l’entrée en vigueur de la reforme, le 1er Mais 2010 et le  31 Décembre 2012 parait très important.
Au 1er Mai 2013 (soit deux mois au delà du champ de notre étude) dans le bilan dressé par le Conseil Constitutionnel sur son site, il apparait que sur les 1520 dossiers adressés par le CE et la Cour Cassation au Conseil Constitutionnel, 549 proviennent du CE soit 36,1% des dossiers reçus par le Conseil Constitutionnel. Parmi ces 549 dossiers figurent 137 décisions de renvoi (25%) et 412 décisions  de non-renvoi (75%) contre 177 décisions de renvoi et 791 décisions de non renvoi en provenance de la Cour Cassation. Il en  résulte donc qu’une demande de QPC sur quatre, qui satisfait aux conditions de recevabilité ne fait pas l’objet d’un renvoi devant le Conseil Constitutionnel. Notons également que sur 68 décisions de censure rendues par le Conseil Constitutionnel dans la période de notre étude trente-trois, c’est- à –dire  la moitié ont pour origine un renvoi du CE (certaines décisions ont cependant à la fois fait l’objet d’un renvoi  de la Cour de  Cassation, ce qui est le cas par exemple de la décision 135/140 QPC du 9 Juin 2011, hospitalisation d’office).
Les décisions de renvoi provenant du CE  se repartissent de la manière suivante sur les trois années étudiées : 2010 :54 ; 2011 :42 ; 2012 – 1er Mars 2013 : 41
Fin 2012, Jean-Marc Sauvé et Bernard stirn notent un infléchissement du nombre de QPC posées (confère J.M Sauvé et B. Stirn, « Bilan de la question prioritaire de constitutionnalité », Audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale, 21 Novembre 2012). La diminution du nombre de renvoi depuis le second semestre 2012, ne peut être recherchée dans un durcissement du filtrage exercé  par la juridiction administration  suprême. Si un resserrement du filtrage à bien eu lieu en ce qui concerne en particulier l’application de la question, il s’est opéré des septembre 2010. Ces auteurs relèvent également que deux tiers des QPC posées le sont directement  devant le CE, ce qui est un point important à la souligner en regard au fait que la question de l’opportunité d’un double  filtre a été soulevé.
Le contentieux de la constitutionnalité n’a jamais été étranger  aux juridictions administratives (voir notamment L. Favoreux,  TH. Remoux.  Le contentieux constitutionnel des actes administratif, Sirey, 1992, 206 p. ; B.Genevois « la constitution et le juge administratif »in B.Mathieu (Dir), 1958-2008, cinquantième anniversaire de la constitution française, Dalloz 2008. P. 355). En effet, le CE est juge de la constitutionnalité des actes administratifs et dispose également du pouvoir contrôler les lois du pays considérés comme étant des actes administratifs aussi. Avec l’entrée en vigueur de la QPC, la difficulté rencontrée par le juge administratif et le CE en particulier dans l’exercice de la compétence de juge du filtre est donc de ne pas empiéter sur l’office du C.C. Le CE doit donc faire preuve de retenue pour ne pas exercer une compétence qu’il a la capacité de pratiquer même s’il en a pas l’habitation constitutionnelle.
Par ce bilan donc, il est possible d’affirmer qu’avec cette réforme constitutionnelle de 2008, le CE exerce la fonction de juge constitutionnel.




CONCLUSION

Nous venons d’étudier le Conseil d’Etat dans toute sa plénitude dés son origine jusqu’à nos jours. Traditionnellement, le Conseil d’Etat accepté dans sa fonction consultative était chargé de conseiller le  gouvernement et plus tard le parlement depuis la récente réforme.
Progressivement, le Conseil d’Etat qui refusa d’être le censeur de la loi dans sa fonction contentieuse finit par devenir le protecteur des droits fondamentaux.
Le Conseil d’Etat de part la réforme de 2008, est un censeur partiel, un juge constitutionnel partiel dans l’exercice de la QPC.
Au vu de tout ce parcours bien qu’épineux et plein de balbutiement, l’on peut affirmer valablement que le Conseil d’Etat est aujourd’hui un juge constitutionnel indirect.


© KUATEWO Dela Mathilde














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