Les mesures alternatives à l’incarcération au Togo
La prison n’est pas une
panacée à la réduction de la criminalité. Les textes togolais, dans le
respect des droits des délinquants et de ceux de la société, offrent un certain nombre de mesures au juge afin de
ne pas prononcer les peines d’emprisonnement dans toutes les situations. Notre étude portera sur les
mesures alternatives à l’incarcération au Togo
Les mesures alternatives à l’incarcération
sont toutes mesures qui permettent d’éviter la prison ou toute condamnation
d’auteurs de délits ne comprenant pas de peine d’emprisonnement ferme. Au Togo
ces mesures sont prévues par le code pénal, le code de procédure pénale, le
code de l’enfant. En France, en plus du code pénal, du code de procédure pénale,
du code de l’enfant, la loi Taubira du 15 aout 2014 sur l’individualisation des
peines a apporté plus d’efficacité dans la sanction pénale.
Notre étude revêt un
double intérêt. D’une part elle nous permet de revisiter les textes togolais qui
consacrent ces mesures alternatives à l’incarcération et leurs avantages pour
les délinquants et d’autre part elle permet de sensibiliser le grand public
puisque ces mesures sont perçues par lui comme
des alternatives trop douces par rapport au rôle que jouent les maisons
d’arrêt.
Il convient alors de s’interroger
sur les différentes mesures alternatives à l’incarcération au Togo et leurs mérites pour la justice togolaise.
Plusieurs alternatives s’offrent aux
juges pour ne pas envoyer ou maintenir un
délinquant derrière les barreaux. Il s’agit de la médiation pénale, de la
composition pénale, des amendes, de la dispense de la peine, du sursis, de
l’ajournement, du travail d’intérêt général. Toutes ces mesures sont non
seulement profitables au délinquant mais aussi nécessaires pour la société.
Avant d’examiner les mérites des mesures
alternatives à l’incarcération au Togo(II), il sera nécessaire de les énumérer (I).
I. Les différentes mesures alternatives à l’incarcération au Togo
Certaines mesures
interviennent pendant la poursuite (A) alors que d’autres interviennent pendant
le jugement (B).
A. Les mesures alternatives décidées pendant les poursuites
Il s’agit de la médiation
pénale et de la composition pénale.
1 .La médiation pénale
La médiation pénale est
une mesure alternative aux poursuites. C’est une mesure appliquée généralement
aux délits mineurs ou aux délits commis par les mineurs. Elle est instituée par l’article 59 du code pénal togolais
et les articles 311, 312,313 et 314 du code togolais de l’enfant.
Aux termes de l’article 59 du code pénal
togolais, « la médiation est un mécanisme qui vise à conclure une
conciliation entre l’auteur d’une infraction ou son représentant légal et la
victime ou son représentant légal ou ses ayants droit .Elle a pour
objectif d’arrêter les effets des poursuites pénales ,d’assurer la réparation
du dommage causé à la victime ,de mettre fin au trouble résultant de l’infraction
et de contribuer au reclassement de l’auteur de l’infraction ».La médiation
est proposée par le procureur de la République.
Ce dernier peut procéder directement à
la médiation ou déléguer la tache à un médiateur pénal (généralement un retraité de la
gendarmerie ou de la police nationale ou une association).[1]
Les mineurs ayant commis des délits bénéficient
aussi de la médiation pénale. Aux termes de l’article 312 alinéa 3 du code
togolais de l’enfant « L’enfant ou la victime ou leur représentant légal respectif,
peut en faire la demande .En cas de requête conjointe, la médiation ne peut être refusée aux
requérants ». Les frais de la médiation
sont avancés par le trésor public comme en matière de protection judiciaire de
la jeunesse.(art 316 du code togolais de l’enfant).
2 .La composition pénale
La composition pénale
est une procédure qui permet au procureur
de proposer une sanction à une personne mineure ou majeure ayant commis certaines infractions. Il peut s’agir
par exemple d’une amende, d’un retrait de permis…
La composition pénale
est instituée par l’article 61 du code pénal togolais .Aux termes de cet
article « le procureur de la république, tant que l’action publique n’a pas été mis en mouvement peut proposer, directement ou par l’intermédiaire d’une personne habilitée ,une composition pénale
à une personne physique qui reconnait avoir commis un ou plusieurs délits punis
à titre de peine principale d’une peine
d’amende ou d’une peine d’emprisonnement ainsi que , le cas échéant, une ou plusieurs contraventions
connexes ». La composition pénale évite le procès au délinquant.
B. Les mesures alternatives
au moment du jugement
1 .L’amende
L’amende en droit pénal,
est une peine obligeant le condamné à verser
une certaine somme d’argent au trésor public.
L’article 75 du code pénal
togolais dispose que le montant de l’amende est fixé par la loi pour chaque
infraction qu’elle définit et qu’elle réprime. Lorsque l’amende n’est pas payée
dans le délai imparti la peine
d’emprisonnement peut être substituée à l’amende[2]. Le
code pénal a également prévu le jour -amende[3] qui
est aussi une alternative à l’incarcération.
2 .La dispense de peine
Cette alternative est prévue
par l’article 96 du code pénal togolais[4]. Un
délinquant qui plaide coupable et qui répare
les dommages causés à sa victime peut ne pas faire la prison.
3 .Le sursis
Le sursis permet de
suspendre totalement ou partiellement l’exécution d’une peine d’emprisonnement
pouvant être décidée par le juge à l’égard du délinquant. Le sursis prononcé
par le juge ne peut excéder 3 ans[5]. A
titre exemplatif, c’est le sursis qui a permis aux deux étudiants de la
ligue togolaise des droits des étudiants (LTDE)[6] de
ne pas faire la prison après leur condamnation le 26 juin 2017 par le tribunal
de Lomé à 12 mois d’emprisonnement. Le sursis peut être assorti des obligations
et contrôles particuliers ;et peut même
être révoqué par le juge si le bénéficiaire ne respecte pas ses obligations[7]. Ainsi
l’article 509 du code de procédure pénale togolais dispose que cette révocation peut intervenir
lorsque, pendant la période d’épreuve le
bénéficiaire a encouru une condamnation supérieure à deux mois d’emprisonnement
ferme ou lorsqu’il a manqué aux
obligations particulières mises à sa charge.
4 .L’ajournement
Lorsque le juge
constate que le dommage causé par le délinquant est en voie d’être réparé et
que le trouble résultant de ce délit va cesser,
il peut décider d’ajourner le prononcé de la peine, selon l’article 100 alinéa 1
du code pénal togolais[8].
5. Le travail d’intérêt
général
Le travail d’intérêt général
consiste à accomplir un travail non rémunéré au profit d’une collectivité, d’un établissement public, ou
d’une association pour une durée déterminée. C’est la mesure la mieux acceptée
par le public en raison de son caractère pédagogique. Aux termes de l’article 82 du code pénal togolais
, « le travail d’intérêt général est une peine correctionnelle
astreignant le condamné à travailler, pendant une durée déterminée sans
recevoir de rémunération, au profit d’une personne morale de droit public, soit
de droit privé chargée d’une mission de service public ou d’une association
habilitée à mettre en œuvre les travaux d’intérêt général. »
Cette peine est
inspirée des expériences étrangères
notamment en grande Bretagne et dans l’État de New-York[9]. Il faut noter que la juridiction doit d’abord
recueillir le consentement de l’intéressé
avant de fixer la durée du travail.
II.L’utilité des mesures alternatives à l’incarcération
Les mesures
alternatives à l’incarcération profitent non seulement au délinquant (A), mais
aussi et surtout à l’efficacité de la justice(B).
A .L ’utilité des mesures alternatives à l’incarcération pour le délinquant
Les mesures
alternatives à l’incarcération permettent une humanisation des sanctions pénales.
Elles prennent en compte la dignité du délinquant et respectent mieux ses
droits.
Selon Dominique GAILLARDOT, « la peine d’emprisonnement
ne possède plus aux yeux du plus grand nombres ses vertus quasi thérapeutiques, voire religieuses
que les spécialistes de la science criminelle lui reconnaissaient au XIXe siècle[10].
Ces mesures permettent
au délinquant de vaquer librement à ses occupations et d’échapper à l’enfer des prisons. Les mesures à l’instar
de la médiation pénale et la composition pénale protègent la vie privée du délinquant
en raison de leur caractère confidentiel ; elles n’interviennent pas
publiquement comme un jugement pénal. Le travail d’intérêt général par exemple
ne coupe pas le délinquant de sa famille ou de son boulot, il permet
d’ailleurs de bien l’éduquer et de le réinsérer dans la société.
Les mesures alternatives à l’incarcération ont aussi pour avantages de protéger le casier
judiciaire du délinquant.
Au delà du délinquant, les mesures alternatives à l’incarcération
profitent aussi à la justice elle-même.
B.L’utilité des mesures alternatives à l’incarcération pour la justice elle-même
Il est clair que les prisons togolaises[11]
remplissent au jour le jour et que le problème de récidive n’a pas cessé de
défrayer la chronique.
Les mesures alternatives à l’incarcération
permettent de désengorger les prisons
qui sont déjà pleines .La surpopulation dans les prisons est un facteur qui ralentit
la bonne administration de la justice
au Togo. L’État dépense d’énormes frais dans la détention des prisonniers (la santé,
la nourriture…). La médiation pénale et la composition pénale permettent à l’État d’économiser sur les frais qu’il dépenserait
pour les audiences. Ces mesures
constituent alors un réel avantage économique pour lui.
Les mesures
alternatives à l’incarcération ont
surtout pour objectifs d’éviter la récidive. Un
condamné avec sursis évitera de
commettre d’autres infractions pour ne pas écoper d’une peine d’emprisonnement ferme.
Un délinquant qui reconnait son tort et qui répare le préjudice causé par son acte,
est moins enclin à la récidive. Le travail d’intérêt général ne profite pas uniquement au délinquant. Il
profite énormément à la société qui ne rémunère
pas le délinquant pour travail accompli et qui pourrait investir l’argent recueilli
dans le service public de la justice.
Fatai OFFANLAKE,
Auditeur en master
justice et droit du procès à l’université de KARA
[1] Article
314 alinéa 1 du code togolais dispose « le médiateur pénal a pour mission
d’aider les parties en litige à trouve une solution acceptée par elles et qui
ne doit être contraire ni à m’ordre public, ni aux bonnes mœurs. Le médiateur
pénal contrôle, si nécessaire, la bonne exécution des engagements »
[2] Article
76 alinéa 2 du code pénal togolais
[3] Article
85 du code pénal togolais « le jour-amende est une peine
correctionnelle qui astreint le condamné à verser au trésor public une somme
dont le montant global résulte de la détermination par le juge d’une
contribution quotidienne, pendant un certain nombre de jours, et qui peut être
prononcée à la place de la peine d’emprisonnement ou cumulativement. Les
modalités d’exécution du jour- amende sont définies par le code de procédure
pénale »
[4] Lorsque
le prévenu a, avant le jugement, assuré la réparation du préjudice causé par le
délit, le juge peut, en considérant les gages d’amendement présentés, tout en
déclarant sa culpabilité, le dispenser de toute peine.
[5] Article
97 du code pénal togolais « les peines d’emprisonnement et d’amende
peuvent faire l’objet, en tout ou partie, d’un sursis d’exécution pendant une
période fixée par le juge, laquelle ne peut excéder (3) ans.
[6] Décision
du tribunal de Lomé du 26 juin 2017 dans
laquelle deux étudiants de la LTDE ont été condamnés à 12 mois de
d’emprisonnement avec sursis.
[7] Article
99 du code pénal togolais « le sursis peut être révoqué par le juge,
sur requête du ministère public dans les conditions déterminées par le code de
procédure pénale »
[8] Le juge
peut ajourner ,selon les modalités prévues par le code de procédure pénale ,le
prononcé de la peine lorsqu’il apparait que le reclassement du prévenu est en
voie d’être acquis, que le dommage causé est en voie d’être réparé et que le
trouble résultant du délit va cesser. Dans ce cas il fixe dans sa décision, la date à laquelle
il est statué sur la peine. »
[9]
Dominique GAILLARDOT ,dans son article sur les sanctions pénales alternatives
dans la revue internationale du droit comparé en 1994 Volume 46 pp683-693
[10]
Dominique GAILLARDOT, revue internationale de droit comparé ,1994, volume
46,pp1
[11] Au Togo
il y a 13 prisons ,plus une brigade pour mineur
RépondreSupprimerCher Fataï, je te tire chapeau pour la réflexion.
La thématique mérite d'être discutée au cours d' un forum ou d'un atelier tant elle est d'une actualité brûlante.
Merci pour l'approche.
Bien à toi!
Merci pour cette pertinente réflexion dont le thème a fait l'objet d'une conférence organisée par la CEJUS en novembre 2016.
RépondreSupprimerJ'en suis ravi cher aîné
RépondreSupprimerFélicitation pour cette lumineuse pensée qui non contente d'être innovante est aussi lucide et surtout contributive pour un réel changement sur les équivoques liées aux au milieux carcérale en général.
RépondreSupprimerFélicitation cher condisciple et ami.
RépondreSupprimerc'est cool la reflexion